Cher Monsieur le ministre des Finances.
Mercredi matin, vous présentiez un projet de loi sur la transparence dans l’économie et la lutte contre la corruption. Vous avez annoncé que cette loi permettrait d’interdire la publicité pour les sites de Forex. Formidable ! Nous nous réjouissons et nous vous apportons notre soutien.
Nous avons beaucoup d’admiration pour ce volontarisme du gouvernement parce que vous allez devoir commencer par faire le ménage dans les sponsors des équipes françaises de sport !
Aujourd’hui, ces sites sponsorisent des équipes aussi connues que le Paris Saint-Germain, l’Olympique Lyonnais, l’AS Monaco ou l’OGC Nice… Faites-en même une proposition de directive européenne pour que des équipes aussi prestigieuses que la Juventus, Leverkusen, Liverpool, Tottenham et beaucoup d’autres cessent de faire la promotion de ces produits toxiques. Ajoutez-y aussi les anciens sportifs qui vendent leur image (Boris Becker). N’oubliez pas les publicités télévisées pour ces “courtiers”. On commence à en voir sur les chaînes de télévision comme Eurosport.
Je repense aux difficultés que vos prédécesseurs ont rencontré quand ils ont voulu interdire les marques de cigarettes dans les compétitions de Formule 1. On a d’abord interdit les publicités. Alors les marques de cigarettes ont sponsorisé les écuries… C’est vraiment courageux de votre part Monsieur le ministre. Le milieu sportif attise depuis longtemps la convoitise de toute l’industrie des jeux d’argent en ligne parce que les supporters sont des cibles de choix. Le jeu les fait vibrer. Et l’industrie du Forex l’a bien compris, en inventant les options binaires, du trading simplifié a l’extrême pour procurer les mêmes symptomes de dépendance que les jeux d’argent.
Plus audacieux encore : vous attaquer à la publicité pour le Forex sur internet. Comme vous le savez forcément, la publicité pour ces sites ressemble à tout sauf à une publicité. Pour convaincre quelqu’un qu’il peut faire fortune en devenant trader, il faut pas mal de ruse de communication et de dissimulation. Grâce à votre projet de loi, Adieu les vidéos virales de faux témoignages commençant par des mots comme “aujourd’hui je vis un rêve, je travaille de chez moi et je gagne beaucoup d’argent depuis que je suis devenu trader”. Au revoir les sites parasites improbables titrant “incroyable, une mère de famille gagne 7 000 euros!”. La loi Sapin 2 vous expulse d’internet!
Je ne doute pas un instant que vous manquiez votre coup. Je suis quand même très curieux de savoir comment vous allez punir les sites contrevenants… Allez-vous bloquer leur accès? Aujourd’hui, faire interdire l’accès à un site est long et lourd tandis qu’ouvrir un nouveau site internet se fait en une journée à peine. Jusqu’à votre loi, pour interdire un site de Forex, l’Autorité des marchés financiers devait saisir le procureur de Paris qui mettait ensuite le site incriminé en demeure de cesser ses agissements pour enfin saisir le juge d’une demande d’interdiction. Totalement inefficace. L’AMF obtenait ainsi le blocage de 4 à 5 sites par an. Pourquoi 4 ou 5 ? C’est un accord tacite entre l’AMF et le parquet de Paris. Cela correspond au temps et aux moyens que le ministère public peut se permettre de mettre sur ces affaires. Je ne doute pas que dans votre projet de loi, vous ayez inévitablement conçu un système qui vous permettre d’agir plus vite que ces escrocs pour bloquer leurs sites. C’est évident.
Vous avez nécessairement prévu un moyen de bloquer tous les sites qui se présentent innocemment comme des “sites d’information sur le Forex”, “forum sur le Forex ou “cours de Forex”. Vous connaissez bien le sujet et vous savez bien que ces sites n’ont absolument rien de neutre. Ils ne visent qu’à une chose : convaincre les internautes de devenir trader car c’est comme cela qu’ils se rémunèrent, parfois en partageant avec le site de Forex chaque euro perdu. Vous êtes immanquablement d’accord avec nous : c’est bien de la publicité déguisée. Dans la presse écrite on appelle cela des publireportages. Certains sites de Forex ont même réussi à infiltrer plusieurs titres de la presse française.
N’oubliez donc pas non plus de mettre de l’ordre chez les vendeurs d’espace publicitaire en ligne. Ces entreprises comme Ligatus, Taboola ou Outbrain, qui colonisent les pages internet de la presse en proposant des articles sponsorisés. Vous savez ce que l’on trouve dans ces liens sponsorisés? Des publicités pour du Forex, des options binaires ou des escroqueries patentées. Comme nous, vous l’avez certainement découvert dans ce reportage récent.
Bien sûr, vous qui avez entrepris d’interdire la publicité pour les sites de Produits dérivés, vous savez tout cela et la loi que vous préparez est conçue pour s’attaquer à toute la complexité du phénomène. Je n’imagine pas votre projet n’avoir pas toutes ces ambitions.