Le récent décret interdisant la commercialisation via des plateformes électroniques de certains produits Forex et CFD à destination des consommateurs belges est une prise de position forte dans l’espace européen. Tout comme celle interdisant toutes les sociétés d’options binaires, y compris celles régulées à Chypre, d’opérer sur le sol belge. Quelles sont les motivations belges ? Et si la France suivait finalement le même chemin. Analyse.
A partir du 18 août 2016, la FSMA (Financial Services and Markets Authority) ou l’autorité des services et marchés financiers s’efforcera d’appliquer un nouveau règlement belge visant les instruments financiers très risqués pour les particuliers. L’article 2 du règlement interdit de commercialiser auprès des particuliers belges résidant en Belgique les options binaires, les contrats dérivés d’une durée inférieure à 1 heure et les contrats dérivés avec un effet levier.
En d’autres termes, ce sont les dérivés de gré à gré non cotés, également appelés OTC (Over-The-Counter), qui sont visés par le règlement et non les dérivés admis à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation. L’autre volet du règlement, l’article 3, proscrit certains modes de commercialisation agressive de ces produits comme les offres de parrainage, les récompenses ou bonus, le recours à des plateformes d’appels et le règlement des transactions par des cartes de crédit.
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ToggleComprendre les motivations belges
Qu’est-ce qui a bien pu pousser la Belgique à ratifier ce décret du 21 juillet 2016 ? Un raisonnement pragmatique nous pousserait à croire que la FSMA entreprend une interdiction frontale de ces OTC parce qu’elle voit un nombre de plaignants très important.
Penchons-nous sur les chiffres. En 2015, la FSMA a reçu 244 plaintes contre 1656 pour l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) en France. On aurait donc en France 3,3 personnes sur 1000 qui seraient victime déclarée contre 2,5 personnes sur 1000 en Belgique. Exit l’hypothèse de départ… Le nombre de plaintes en Belgique ne peut à lui seul expliquer la prise de position de la FSMA . Au contraire, la France serait davantage touchée.
Côté perte d’argent déclarée, les Belges auraient perdu 6 millions d’euros dans la fraude au Forex et options binaires. En France, c’est une perte de 4,5 milliards d’euros en 6 ans que constate le gendarme de la bourse. Difficile de recouper ces chiffres…. Pour en savoir plus, nous avons demandé quelques précisions au porte-parole de la FSMA , Jim Lannoo.
Voici sa réponse : « Il est très difficile d’estimer précisément les pertes encourues par les consommateurs belges. En effet, les victimes fournissent rarement des informations sur les pertes réellement encourues ou sur les comptes bancaires sur lesquels elles ont versé de l’argent, et l’enquête a démontré que toutes les victimes n’introduisaient pas systématiquement une plainte auprès de la FSMA . Certaines plaintes introduites auprès de la FSMA font état de pertes s’élevant à quelques milliers d’euros, mais il a déjà été constaté que plusieurs victimes avaient parfois perdu plus de € 100.000. Sur la simple base des pertes signalées à la FSMA , on atteint un chiffre de plus de 6 millions d’euros. Dans la réalité, le montant est certainement un multiple de celui-là. »
Difficile donc de connaitre les réelles sommes perdues sur le territoire belge… D’un point de vue politique, on pourrait considérer que la Belgique a pour habitude de protéger davantage sa population à l’égard des menaces financières extérieures. Sa position de monarchie constitutionnelle ne la pousse-t-elle pas à jouer un rôle paternaliste à l’égard de ses citoyens ?
Selon le porte-parole de la FSMA « Le règlement vise non seulement à protéger les intérêts spécifiques des consommateurs, mais aussi à contribuer à l’intégrité du secteur financier et à la confiance du public dans ce secteur. »
En effet, en Belgique, le secteur tertiaire représente plus des trois quarts de la richesse nationale. Bruxelles, qui accueille les grandes institutions européennes et de nombreuses représentations diplomatiques a fondé majoritairement son économie sur les services.
Etant donnée sa position centrale en Europe, la Belgique souhaite-t-elle donc montrer l’exemple ?
« La problématique de l’offre d’options binaires, de CFD et de produits forex n’est pas un phénomène purement belge. C’est une problématique qui se manifeste dans toute l’Europe. Il peut dans ce cadre être fait référence à une récente mise en garde de l’ESMA1 (European Securities and Markets Authority), l’autorité de contrôle européenne. D’autres pays ont déjà pris des mesures restrictives en ce qui concerne la commercialisation de pareils instruments, en utilisant les moyens réglementaires à leur disposition. » explique Jim Lannoo à Warning Trading.
Et si la loi sapin II se rapprochait de cette interdiction belge?
Prochainement, l’article 28 de la loi sapin 2 interdira toutes les publicités électroniques de ces produits risqués pour limiter l’exposition des particuliers. C’est dans cette loi que l’on peut espérer s’approcher du récent décret belge. En effet, comme le souligne un communiqué de la FSMA 2, « le nouveau règlement s’applique aux fournisseurs des instruments et non aux consommateurs belges. Autrement dit, si un consommateur prend de sa propre initiative contact avec un fournisseur sans action préalable du fournisseur, il n’est alors pas question de « commercialisation » en Belgique. Un site web sans références à la Belgique et sans autre publicité ou action en Belgique n’est donc pas couvert par le champ d’application de ce règlement ».
Autrement dit, c’est bien la commercialisation des OTC à destination des belges qui est visée et non pas la commercialisation « neutre » de ces produits. Si la vente du produit n’est précédée d’aucune sollicitation spécifique à l’égard du consommateur belge résidant en Belgique, la commercialisation ne rentre pas dans le cadre de cet arrêté royal du 21 juillet 2016.
A savoir désormais, qu’est-ce qui se cache derrière le terme « publicités électroniques » dans la loi sapin 2. Selon l’AMF, l’article 28 de la loi va instaurer un mécanisme d’interdiction de toute forme de communication à caractère promotionnel adressée directement ou indirectement par des prestataires de services d’investissement, par voie électronique (emailings, bannières publicitaires en ligne, radio, télévision, etc.) , à destination des particuliers et portant sur des instruments financiers particulièrement difficiles à comprendre et potentiellement très risqués. Les deux règlements visent donc à protéger le consommateur des actions commerciales des faux brokers.
A contrario de la Belgique, la France est moins exhaustive car elle ne prend en considération que les publications électroniques et non pas l’ensemble des modes de commercialisation. Que faire alors du démarchage téléphonique, des prospectus et de la publicité imprimée? On peut aussi se demander dans quelle catégorie rentreront les sites internet frauduleux qui dénoncent la faible rémunération d’un livret A ? Même si le particulier français consulte ce site en toute conscience, comment considérer cet argument commercial qui vise spécifiquement un profil français ?
Double peine pour 24option
Autre exemple de l’influence possible qu’exerce les 2 pays européens l’un sur l’autre. En août dernier, l’AMF a interdit, dans une mesure à titre conservatoire, à la société d’options binaires 24option d’opérer sur le sol français. Le motif ? Son site internet et ses publicités expliquaient trop peu les risques encourus par l’investisseur. Comme le souligne le communiqué de presse de l’AMF du 29 juillet 2016 : « Cette décision de l’Autorité des marchés financiers, prise en application de l’article 62 de la directive MIF est une première. »
Autre fait remarquable : 3 mois auparavant, cette même société était sanctionnée par la FSMA.Hasard de calendrier ou influence mutuelle des 2 pays européens ? Une troisième voix viendrait peut-être affirmer que toutes ces actions pourraient bien être motivées par l’autorité de contrôle européenne, l’ESMA.
Sans oublier que la directive européenne MIF 2, relative aux marchés d’instruments financiers, devrait favoriser aux autorités financières locales et à leur homologue européen, l’ESMA, la mise en place de nouvelles interdictions à l’égard des produits financiers risqués.
Sources : (copié-collé)
1. CP de l’ESMA 25/07/2016 : https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/library/2016-1166_warning_on_cfds_binary_options_and_other_speculative_products_0.pdf
2. Réponse à la question 10. http://www.fsma.be/fr/Site/Repository/faq/faq_banning.aspx#6