Plusieurs centaines de dossiers de fraude fiscale passeront des juridictions de province au parquet national financier basé à Paris. Est-ce pour autant un cadeau fiscal pour les fraudeurs ? L’amendement adopté dans le cadre de la loi Sapin 2 élargit les compétences octroyées au parquet, une juridiction qui détenait jusqu’alors une compétence exclusive en matière de délit boursier.
Cet amendement qui était passé inaperçu jusqu’alors, provoque la panique dans les parquets de France. Il a été déposé par Sandrine Mazetier, la vice-présidente de l’Assemblée nationale et donne une compétence exclusive au Parquet national financier (PNF) pour les délits de corruption fiscale et la fraude fiscale aggravée. Les affaires financières complexes étaient jusque-là traitées par les parquets locaux situés à Paris, elles seront désormais rassemblées auprès de la juridiction anticorruption.
Un changement brutal sans période de transition
Cet amendement qui a principalement pour objectif de rendre la justice financière plus efficace, pourrait avoir l’effet inverse. En effet, si presque la totalité des dossiers de fraude fiscale seront confiés à des magistrats spécialisés, ces nouvelles règles pourraient ralentir les centaines de procédures en cours. Les enquêtes en cours seront suspendues sous peine de nullité et les juges d’instruction qui travaillent sur ces affaires devront se dessaisir immédiatement. L’inquiétude est d’autant plus grande qu’aucune mesure n’a été instaurée pour renforcer le Parquet en termes d’effectifs ou pour s’assurer de son efficacité. Le PNF était déjà sous-dimensionné par rapport aux ambitions initiales du gouvernement, comme le rappelle le député PS Yann Galut au cours d’une séance concernant l’amendement.
Cette disposition inquiète les 15 magistrats du Parquet qui traitent en moyenne près de 27 dossiers chacun alors que l’étude d’impact prévoyait 22 magistrats avec un ratio moyen de 8 dossiers pour chacun. Leurs plus hauts représentants ont d’ailleurs demandé par l’intermédiaire d’une motion le 3 décembre dernier, un réexamen de cette disposition. On est dans tous les cas très loin du Serious Fraud Office anglais dont l’effectif est de 480 personnes et qui a pu bénéficier de 10 millions d’euros supplémentaires suite au scandale des Panama Papers.
Que vont devenir les procédures en cours ?
La mise en place de cette mesure pose la question du devenir des juridictions interrégionales spécialisées dont le but est de lutter plus efficacement contre la grande criminalité et la délinquance financière. Les magistrats sont aussi préoccupés par l’avenir des procédures en cours. En effet, le texte n’apporte aucune précision concernant les modalités de dessaisissement et le partage des compétences en cas d’infractions multiples. Cela pourrait créer « un nid à contentieux », affirme la Conférence nationale des procureurs généraux. On peut en effet se demander comment le Parquet financier qui gère actuellement plus de 358 dossiers à moins de vingt magistrats, sera en mesure d’absorber le flux de procédures qui se prépare.
Le Parquet national financier déjà débordé
Plus de deux ans après sa création, le Parquet est déjà pleinement opérationnel et même débordé. Eliane Houlette, le procureur en chef du Parquet national financier (PNF) souligne toutefois que le bilan de cette juridiction bien que prématuré, reste mitigé. En effet, elle se plaint notamment du manque de moyens des services d’enquêtes spécialisés et souligne l’arrivée trop lente des dossiers devant les tribunaux. En effet, au moins quatre années sont nécessaires pour les traiter et au minimum deux ans pour les instruire, et cela sans prendre en compte les recours et appels.
L’institution avait été créée par le gouvernement à la suite du scandale Cahuzac pour renforcer la lutte contre la corruption, la fraude fiscale et les atteintes au marché. Son champ de compétences limité lui permettait d’échapper aux contraintes rencontrées par les autres parquets et notamment au traitement des procédures en temps réel. Le nouvel amendement pourrait donc grandement impacter l’efficacité du Parquet national financier. Il pose également la question du sens et de la visibilité de la justice dans les territoires à l’heure où la fraude aux finances publiques est une priorité nationale.
Le Parquet national financier est récemment intervenu dans l’affaire Cahuzac en demandant 3 ans de prison ferme et 5 ans d’inéligibilité contre l’ancien maire et ancien député. Ce jugement constitue la première grande victoire de cette juridiction.