Que penser de cette conférence de presse conjointe sur les arnaques financières? Nous en faisons ici un compte-rendu critique.
Sommaire
Toggle- Les arnaques financières à l’âge industriel ne diminuent pas
- Un préjudice national estimé à 500 millions d’euros par an au moins
- 3,2% des Français victimes en 2024 contre 1,2% en 2021, soit trois fois plus
- Des scénarios d’arnaque perpétuellement renouvelés
- « fraude au carré ou d’arnaque sur l’arnaque »
- D’après les autorités, la prévention serait plus efficace que la répression
- Les opérations de répression sont-elles une exception?
- Le blocage de sites frauduleux, outil de communication ou véritable réponse?
- Rappel de conduite à tenir pour éviter de se faire avoir
Les arnaques financières à l’âge industriel ne diminuent pas
Le Parquet de Paris, l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont organisé une conférence de presse jeudi 19 décembre pour le point sur l’évolution des arnaques financières et leur mobilisation pour lutter contre ce phénomène en forte hausse.
Cette conférence de presse s’inscrit dans une suite d’événement organisés depuis une dizaine d’année, c’est-à-dire depuis que les arnaques financières d’industrialisent et que les autorités cherchent à mettre en valeur leur action:
- En octobre 2014, l’AMF publiait une étude démontrant que les traders particuliers perdent leur argent 9 fois sur 10.
- En 2016, le procureur de la république de Paris, François Molins, estimaient pour la première fois que les arnaques au trading représentaient 4,5 milliards d’euros, tout courtiers confondus, légaux (c’est-à-dire essentiellement chypriotes) et illégaux (c’est-à-dire sans autorisation, même de complaisance), depuis l’origine du phénomène.
- En 2019, l’AMF, l’ACPR et le parquet de Paris estimaient que les épargnants français avaient perdu près d’un milliard d’euros dans de faux produits financiers en ligne, depuis 2016. C’est à cette occasion qu’il a été constaté “une industrialisation du phénomène”.
- En décembre 2021, ces autorités évaluaient pour la première fois que le préjudice total était évalué à 500 millions d’euros. Déjà à cette époque, les signalements d’arnaque explosaient à plus de 300%.
Au total, depuis l’origine de ces arnaques et jusqu’en 2022, les autorités estiment donc que les Français se sont fait délester de 7 milliards d’euros. Le compteur atteind donc, officiellement en tout cas 8 milliards d’euros au moins en 2024.
Les arnaques financières sont des faits frauduleux qui touchent un large public et prennent diverses formes : fausses offres de crédits, de livrets d’épargne, de services de paiement et d’assurance ou encore d’investissements dans des placements verts ou des crypto-actifs.
Un préjudice national estimé à 500 millions d’euros par an au moins
Le Parquet de Paris estime le préjudice global subi par les victimes d’escroqueries financières en France à au moins 500 millions d’euros par an mais constate une baisse du nombre des plaintes, susceptible de s’expliquer par le recours à des mécanismes d’indemnisation civile et par la centralisation des démarches de plainte par certains cabinets d’avocats.
Nous avions déjà questionné et critiqué ce chiffre. Sa méthodologie n’est pas dévoilée et il s’agirait d’une extrapolation basée sur des plaintes pénales déposées par les victimes si l’on s’en tient à ce qui nous avait été répondu lors de la dernière conférence de presse. Il semble ne prendre en compte que les plaintes contre des offres frauduleuses et aucunement les « arnaques légales ». En effet, l’industrie des fraudes financières pratique cherche depuis longtemps à passer par des voies légales en créant des sociétés légales dans des pays membres de l’Union européenne comme Chypre. Or, ces offres qui sont des arnaques ne semblent pas comptabilisées.
Le préjudice moyen par victime observé sur les 3 premiers trimestres de 2024 par l’ACPR s’élève à 69 000 euros pour les faux livrets d’épargne et à 19 000 euros sur les faux crédits. Depuis le second semestre 2023, les arnaques sont fortement concentrées sur les crypto-actifs. Le montant moyen de la perte déclarée auprès de l’AMF, tous thèmes d’arnaques confondus, se chiffre à fin novembre 2024 à 29 000 euros.
3,2% des Français victimes en 2024 contre 1,2% en 2021, soit trois fois plus
Selon une enquête BVA Xsight réalisée pour l’AMF auprès de 5001 personnes de 18 ans et plus interrogées du 2 au 16 septembre 2024, 3,2 % des Français seraient victimes d’arnaques à l’investissement financier. Cette proportion a pratiquement triplé en trois ans (1,2 % en 2021).
Parmi les victimes probables, 45 % sont des hommes de moins de 35 ans, qui semblent être plus réceptifs aux messages incitant à investir dans des placements prônant l’enrichissement rapide, véhiculés notamment par les réseaux sociaux. Le sentiment de « s’y connaitre en matière de placements », le goût pour le risque ou encore la confiance excessive face à des offres peu réalistes sont certains des traits qui caractérisent les victimes.
Des scénarios d’arnaque perpétuellement renouvelés
Les autorités observent de nouvelles tendances dans les modes opératoires des escrocs, qui s’appuient sur des arguments bien rodés pour faire miroiter à leurs potentielles victimes de soi-disant placements à rendements élevés garantis permettant de « devenir riche à tous les coups ».
Les escrocs exercent une forte pression sur leur victime. L’arnaque au « faux conseiller » consiste à appeler la victime pour « l’aider » à arrêter une prétendue fraude sur son compte et à lui faire valider des opérations ou à obtenir ses identifiants et réaliser ensuite des opérations depuis son espace personnel. Une nouvelle variante consiste à envoyer un coursier chez la victime afin de récupérer une carte bancaire soi-disant défectueuse.
L’usurpation d’identité gagne du terrain, que ce soit celle des autorités et de leurs collaborateurs, celle des établissements financiers et de leurs conseillers ou encore celle d’entreprises non financières. Un tiers des arnaques reposant sur des usurpations signalées à l’AMF utilisent frauduleusement son identité. Pratiquement la moitié des arnaques sont également une usurpation d’identité.
Le mode opératoire des escrocs se perfectionne : des vidéos truquées et de faux articles de presse détournent ainsi des caractéristiques physiques de célébrités, s’appuyant parfois sur l’usage de l’intelligence artificielle (IA) : ces personnalités divulgueraient alors par mégarde la source de leur richesse, obtenue grâce à une prétendue offre de trading de crypto-actifs, se révélant être une pure arnaque.
Certains escrocs vont jusqu’à s’appuyer sur la réputation de certains journaux en insérant de la publicité ou des publi-communiqués sur de fausses offres d’investissement usurpant l’identité de sociétés existantes.
« fraude au carré ou d’arnaque sur l’arnaque »
Enfin, une nouvelle technique, que l’on pourrait qualifier de « fraude au carré ou d’arnaque sur l’arnaque », se développe. Après s’être fait arnaquer une première fois sur un site frauduleux proposant des crypto-actifs, l’épargnant qui a perdu ses fonds est contacté par un inconnu. Ce dernier prétend alors être mandaté par une autorité publique pour l’aider à récupérer son argent, sous réserve… de lui régler un certain montant. Nous répertorions ce type d’arnaque dans cette rubrique dédiée.
L’un des rares procès tenus en France contre une personne ayant participé à ce type d’arnaque concernait justement, non pas une personne ayant participé à une arnaque financière, mais une personne pratiquant la « retape », l’arnaque dans l’arnaque ou arnaque à la récupération de fonds. Cette affaire Ilan-Marco, un franco-israélien qui a été condamné, a pu donner le sentiment sincère que la priorité de autorités judiciaires était moins de réprimer les auteurs d’escroqueries fiancières que l’usurpation d’identité d’agent publics tels que douaniers, policiers ou notaires. Ce procès avait permis de mieux comprendre l’organisation largement décentralisée de cette industrie de l’arnaque largement implantée en Israël.
Ces arnaques prennent le plus souvent naissance sur les réseaux sociaux qui jouent le rôle de caisse de résonance. Des influenceurs peuvent ainsi se retrouver au cœur des schémas des fraudes, en faisant la promotion auprès de leurs communautés d’offres non autorisées promettant « la liberté financière sans effort ». Pourtant, les autorités ne semblent pas avoir songé à mettre en cause de la responsabilité des réseaux sociaux de la même manière que les banques peuvent engager leur responsabilité quand elles ne mettent pas tout en oeuvre contre le banchiment d’argent.
D’après les autorités, la prévention serait plus efficace que la répression
Depuis le 1er janvier 2022, l’AMF et l’ACPR ont inscrit sur leurs listes noires, près de 5 000 acteurs ou offres non autorisés.
La prévention demeure le moyen le plus efficace pour lutter contre les arnaques et susciter les bons réflexes. Durant l’été 2024, l’AMF et la DGCCRF ont ainsi posté sur les réseaux sociaux les plus utilisés par les 18-35 ans, des vidéos thématiques de sensibilisation reprenant les codes qui parlent aux plus jeunes. En novembre dernier, l’AMF et l’ACPR ont diffusé « Arnaque ou pas ? », une campagne pour aider le public à repérer les arnaques aux placements financiers, mobilisant 190 médias.
Enfin, l’AMF lance en cette fin d’année une campagne de vigilance intitulée « Arnaques : il n’est jamais urgent de perdre son argent ! », afin d’inciter les particuliers à ne pas céder aux sirènes de l’argent facile proposé par les fraudeurs.
En matière de protection des consommateur et des épargnants, la tendance est à la dérégulation et la libéralisation qu’une prévention est censée venir contrebalancer. Les chiffres prouvent que cette recette ne suffit manifestement pas à enrayer le phénomène. Pire, elle fait le jeu de l’industrie de l’arnaque qui elle aussi, investit massivement dans une communication frauduleuse et concurrente de celle des autorités dans un espace où l’information est totalement dérégulé: internet. Incapable de réprimer correctement le phénomène, les autorités en sont réduite à faire du « shaming » via des listes noires qui sont autant d’aveux de faiblesse.
Les opérations de répression sont-elles une exception?
Enfin, sur le volet répressif, en 2024, le Parquet de Paris a ouvert ou poursuivi des enquêtes d’ampleur internationale (OMEGA PRO, JUICY FIELDS, etc.) confiées à la section financière J2 du parquet JUNALCO (juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée). Depuis sa création en 2020, la section J2 a saisi plus de 645 millions d’euros d’avoirs criminels, dont 268 millions d’euros pour la seule année 2024. Ces montant concernent la criminalité organisée dans son ensemble. Impossible de savoir la part qui provient des arnaques financières.
Dans sa lutte contre la promotion des produits financiers risqués, la DGCCRF a contrôlé, à date en 2024, près de 30 opérateurs. Sur signalements de l’AMF en septembre dernier, la DGCCRF a récemment enjoint 10 influenceurs faisant la promotion d’une plateforme placée sur liste noire par l’AMF, de cesser cette publicité. 8 d’entre eux se sont mis rapidement en conformité. Les procédures se poursuivent s’agissant des deux autres influenceurs.
Une fois de plus, les autorités n’ont pas songé à envisager une responsabilité légale des réseaux sociaux dans la promotion de ces arnaques. Il a pourtant été rappelé à plusieurs reprise dans cette conférence de presse que les victimes d’arnaque sont massivement recrutées sur les réseaux sociaux. De même que la responsabilité des banques est régulièrement mise en cause avec succès devant les tribunaux dans des affaires d’arnaques, nous pensons que la loi devrait porter le même genre de responsabilité pour les réseaux sociaux afin que ceux-ci puissent être déclarés condamnés à rembourser une victime qui démontrerait qu’un réseau social porte une responsabilité.
Le blocage de sites frauduleux, outil de communication ou véritable réponse?
En parallèle, l’AMF utilise sa compétence lui permettant de saisir la justice pour demander le blocage de l’accès à des sites frauduleux. Depuis 2022, les procédures engagées par l’AMF ont permis d’obtenir le blocage de près de 350 adresses internet.
Nous avons déjà questionné l’efficacité cette procédure très lourde. Il suffit de quelques milliers d’euros pour lancer une arnaque que les escrocs vont exploiter quelques mois. Une fois bloquée, ils leur suffit d’en créer une autre. Manifestement, cela ne fait pas baisser les chiffres de cette délinquance.
Rappel de conduite à tenir pour éviter de se faire avoir
Les autorités réitèrent leur appel à la vigilance. Face au phénomène des arnaques, il est impératif d’adopter quelques bons réflexes :
- faire attention aux discours trop beaux pour être vrais ; face à des offres présentant des rendements élevés et minorant les risques,
- consulter les registres des autorités (Regafi pour les établissements de crédit, Refassu pour les assureurs, ORIAS s’agissant des intermédiaires), et vérifier les listes blanches des acteurs et offres autorisés (site AMF),
- pour vérifier que la banque n’est pas usurpée, effectuer un contre-appel au siège de la société à partir d’un numéro de téléphone trouvé par vos propres moyens,
- vérifier les listes noires des autorités qui répertorient les acteurs non autorisés,
- bien se renseigner avant d’investir en s’appuyant sur plusieurs sources,
- protéger ses données personnelles, mêmes non bancaires,
- au moindre doute, contacter les autorités : AMF : +33(0) 1 53 45 62 00 ; Assurance Banque Epargne Info Service : 34 14 ; SignalConso : pour signaler un problème rencontré avec un professionnel.