La vente de pronostics sportifs ou tipsters est illégale et punie de deux ans de prison

La libéralisation des paris sportifs fête ses 10 ans. L’occasion d’expliquer que le business des « tipsters », la vente de pronostics sportifs est illégal. Une interdiction massivement méconnue.

10 ans après la libéralisation, les tipsters mis en cause

L’année 2021 marque un cap pour le monde des paris sportifs. Voilà 10 ans que ce secteur a été libéralisé. L’addiction est en forte augmentation, surtout chez les jeunes.

Les publicités pour les principaux sites ont envahi l’espace public et s’adressent indifféremment aux majeurs et aux mineurs alors même que la publicité pour les paris sportifs est interdite aux mineurs. Le législateur pensait probablement que les parents empêcheraient leurs enfants de regarder ces publicités jusqu’à leurs dix-huitièmes anniversaires…

L’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) a lancé à l’occasion de cet anniversaire une campagne de communication ciblant particulièrement l’activité des tipsters ou pronostiqueurs. Le message est clair. « La fourniture de pronostics sportifs à titre onéreux est potentiellement constitutive d’une pratique commerciale trompeuse prohibée par le code de la consommation« . Dixit, le directeur juridique de l’ANJ, Frédéric Guerchoun.

En effet, le code de la consommation est particulièrement clair sur ce point. Son article L 121-4 est une transposition de la directive européenne de 2005 qui instaure un régime juridique commun concernant les pratiques commerciales déloyales. Il énonce la liste des pratiques commerciales réputées trompeuses. Et la 15e pratique énoncée et réputée trompeuse consiste à « affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner aux jeux d’argent et de hasard ».

La peine encourue en cas de manquement à ces dispositions peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (article L132-2). L’amende peut même être proportionnée au chiffre d’affaires ainsi généré.

Il suffit de faire quelques recherches sur les réseaux sociaux pour s’apercevoir que cette interdiction est massivement ignorée et que les vendeurs de pronostics sportifs pullulent. Nous avons dernièrement publié un article sur l’un d’eux, Pronoclub. En témoigne également cette capture d’écran d’un site recensant des offres de vente de pronostics sportifs: comparateurtipsters.com.

comparateurtipsters.com
Capture d’écran du site comparateurtipsters.com

La vente de pronostics, justes ou faux, est interdite

Les mots de l’article L121-4 ont été choisis avec soin. Il suffit d’affirmer qu’un produit ou un service augmente des chances de gagner aux jeux d’argent et de hasard pour que cela constitue une pratique trompeuse. Savoir si les pronostics sportifs vendus sont ou pas efficaces et une question parfaitement indifférente.

Le site Pronofast avait d’ailleurs cru pouvoir vendre des conseils pour remplir des grilles de lotos en promettant d’augmenter les chances de succès de ses clients sans risquer des sanctions sous le motif de l’article L121-4. Elle est allée jusque devant la Cour de cassation pour se défendre, constats d’huissiers à l’appui prouvant que sa méthode fonctionne. Les magistrats n’ont même pas pris la peine de vérifier que cette méthode fonctionne parce que la loi interdit tout bonnement d’« affirmer d’un produit ou d’un service qu’il augmente les chances de gagner aux jeux d’argent et de hasard ».

Pronofaste
Capture d’écran d’une page du site Pronofaste sur laquelle Pronofaste explique avoir perdu le droit de vendre ses conseils.

On peut comprendre le sentiment d’injustice de Pronofast. On peut également comprendre les raisons qui ont décidé le législateur d’interdire par principe la prétention à prévoir le hasard.

Le pari sportif est un jeu de hasard

Paris sportifs, poker, backgammon, paris hippiques et autres roulettes restent juridiquement des jeux de hasard. Même s’il est possible de théoriser les probabilités qu’ils mettent en jeu et même si un fin connaisseur du football aura sans doute plus de chance de gagner aux paris sportifs qu’un néophyte.

« Un jeu d’expertise reste un jeu de hasard. Même le poker est un jeu de hasard. C’est un contrat aléatoire » abonde Frédéric Guerchoun, directeur juridique de l’Autorité Nationale des Jeux. Surtout, le législateur européen a voulu par là prévenir les risques liés à l’addiction, exacerbés quand le joueur à l’illusion qu’il va gagner à coup sûr de l’argent avec les paris sportifs.

En définissant les paris sportifs comme des jeux de hasard, le législateur n’a pas voulu défier les lois de la probabilité ou les capacités d’expertise. Il a plutôt considéré que l’aléa, le hasard, l’incertitude, domine tellement les jeux d’argent que prétendre vendre des prédictions s’apparente nécessairement à de la tromperie.

« Avant la transposition de la directive de 2005, on appréhendait ces pratiques sous l’angle de l’escroquerie. Mais une escroquerie est plus compliquée à démontrer. Avec l’article L121-4, la fourniture de pronostics sportifs à titre onéreux est automatiquement considérée comme trompeuse » ajoute le juriste de l’ANJ.

Peu de pronostiqueurs ont été condamnés

Encore trop peu de pronostiqueurs ont eu à subir les foudres de l’article L121-4 du code de la consommation. Mais l’ANJ a profiter de l’Euro 2021 pour taper du poing sur la table, d’abord avec une opération de communication d’envergure, ensuite en signalant quelques cas à la DGCCRF, la répression des fraudes.

Ainsi, il y a quelques jours, L’Equipe titrait l’un de ses articles « Paris sportifs : un tipster basé dans les Hauts-de-Seine signalé au parquet de Nanterre ». Le même article nous apprend que l’ANJ aurait de cette façon en ligne de mire une cinquantaine de tipsters et de pronostiqueurs.

L'Equipe tipster
Capture d’écran d’un article publié sur le site de L’Equipe

L’affaire Billionnaire (LVN limited)

Nous essayerons de suivre ces contentieux de près, car l’article L121-4 n’a pas encore généré beaucoup de jurisprudence concernant les pronostiqueurs. Le cas s’est présenté une fois pourtant.

Il s’agissait d’une société maltaise, LVN Limited, gérant le site de pronostics Billionnaire (désormais inactif), dont le modèle économique consistait d’une part à vendre des pronostics sportifs sous forme d’abonnement et d’autre part à obtenir des commissions de la part des sites de paris sportifs avec lesquels elle avait noué des partenariats, très probablement pour récupérer une partie des pertes des clients par elle amenée à parier.

Billionnaire pronostics
Capture d’écran du site Billionnaire

LVN Limited se plaignait de ce que l’ANJ, à l’époque l’ARJEL, avait, mis en demeure les opérateurs de paris sportifs opérants auprès des clients français de cesser de collaborer avec elle. Or, la société maltaise vendait des pronostics sportifs à des parieurs et bénéficiait de rémunération pour cela de la part des sites de paris sportifs.

LVN Limited avait donc décidé d’attaquer ces mises en demeure en référé, une procédure d’urgence, devant le Conseil d’Etat, la juridiction suprême administrative française. Elle se plaignait que ces courtiers avaient fait baisser son chiffre d’affaires de près de 45%.

Pour prouver cette baisse de chiffre d’affaires, LVN produisait une attestation d’expert comptable maltais. Une telle attestation ne permettait pas de vérifier les prétentions de LVN Limited. L’ANJ avait donc demandé des documents comptables complémentaires. Mais LVN avait refusé de donner autant de précisions sur son chiffre d’affaires. Elle avait répondu que le droit maltais n’impose pas de tenir une telle comptabilité.

La demande avait donc été rejetée par le Conseil d’Etat le 1er juillet 2019. Mais elle avait permis de se faire une idée des profits engendrés par semblable business. D’après une source anonyme, dans le cas de Billionnaire, il s’agissait d’une somme à sept chiffres.

Ces montants colossaux avaient amené l’ANJ à se demander si l’activité de vente de pronostiqueurs ne pouvait pas s’analyser en une manipulation de cote. En effet, dans certains cas, l’impact d’une vente de pronostics peut aboutir à elle seule à faire varier les côtes.

billionnairepronos
Capture d’écran du profil Instagram de Billionnairepronos, à l’époque où il était actif

Sur 1 an, 1,5 joueur sur 10 000 a gagné plus de 12 000 €

Pour comprendre la volonté de l’ANJ de attaquer enfin aux pronostiqueurs et autres tipsters, il faut revenir à ce qu’elle écrit dans son rapport annuel 2018-2019. On y apprenait qu’en moyenne, tous jeux confondus, « 85 % des joueurs ont été perdants » et dans les paris sportifs, « seulement 1,5 joueur sur 10000 a gagné plus de 12000 € (1000 € par mois) ».

Cela signifie très simplement que l’idée de gagner sa vie avec les paris sportifs est parfaitement illusoire. La seule conception socialement valable dans cette matière, c’est celle dans laquelle les jeux d’argent ne sont qu’une activité purement ludique où le joueur doit s’attendre à perdre sa mise plutôt qu’à la remporter.

ANJ ARJEL Rapport perte paris
Capture d’écran du rapport 2018-2019 de l’ARJEL

Or, les auteurs du rapport de 2018-2019 écrivaient déjà que « depuis plusieurs mois, ce message est véhiculé au travers de sites qui, pour vendre leurs conseils et leurs pronostics en paris sportifs, (« tipsters ») laissent croire à un public souvent très jeune que cette perspective est assurée, notamment grâce à des abonnements payants qui vont leur donner, sans besoin d’acquérir une expertise, les résultats gagnants à coup sûr ».

Laurent Billionnaire vend du rêve

Le cas Billionnaire illustre cet extrait du rapport de l’ANJ jusqu’à la caricature. Celui qui dirigeait cette entreprise maltaise s’appelle Laurent Correia et se fait surnommer Laurent Billionnaire. Né en 1995 originaire de Nice, c’est un ancien candidat de l’émission de télé-réalité La Villa, diffusée sur TFX. Plus qu’un pronostiqueur, c’est ce que l’on appelle un influenceur. Il met en scène son mariage avec une autre candidate de télé réalité Jazz Lanfranchi, leurs enfants Chelsea et Cayden et les moindres recoins de leur vie privée dans des décors de rêves.

Laurent Correia Billionnaire
Capture d’écran du profil Instagram de Laurent Billionnaire

Les pronostics ne sont en réalité que l’un des nombreux rêves que vend Laurent à ses followers. Nous l’avion déjà croisé à propos de Tacoswap et Cryptaldash, deux projets de cryptos bancals auxquels il avait vendu ses services d’apporteur d’affaires.

Philippe Miller

Philippe Miller

Journaliste professionnel, télé et web, carte de presse n°115527, depuis 2010, spécialiste des arnaques financières, des paradis fiscaux et des mafias.

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