Le franco-israélien comparaissait libre au premier jour de son procès. Il est poursuivi pour avoir arnaqué des victimes une seconde fois.
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Toggle185 victimes recensées et 1,7 million d’euros extorqués
Le procès d’Ilan Marco a commencé lundi 27 mars au Tribunal judiciaire de Paris. Ce franco-israélien est accusé d’avoir fait croire à des victimes d’arnaques financières qu’il était en mesure de leur permettre de récupérer leur préjudice en s’attribuant de fausses qualités. Mais auparavant, pour une raison ou pour une autre, il fallait toujours… verser encore de l’argent.
Dès le début de l’audience, il a pris la parole pour reconnaitre l’essentiel des faits qui lui sont imputés. Ilan Marco est poursuivi pour escroquerie en bande organisée mais il est seul sur le banc des accusés. Ses complices sont restés en Israël sans que l’on sache si Ilan a donné leur identité ou s’ils ont été identifiés.
L’enquête a répertorié un total de d’1,7 millions d’euros extorqués et transférés sur des comptes bancaires de transit dans des banques européennes. 185 victimes ont été recensées. Une quarantaine se sont constituées parties civiles. 11 victimes étaient présentes au premier jour de l’audience, pour raconter leurs échanges téléphoniques avec Ilan Marco: un retraité de 90 ans qui traversait un veuvage douloureux à l’époque des faits, une femme dont le mari était alors très malade et décèdera dans les mois suivant, un retraité se décrivant « au bord du suicide » quand il a réalisé le désastre… Ilan Marco écoute, tournant le dos à l’assistance, évitant soigneusement de croiser le regard de ses victimes.
« En matière d’escroqueries financières, les procès sont suffisamment rares pour saluer la tenue de ce procès » commente maître Anne Bernard-Dussaulx, conseil de trois victimes au procès. « Les victimes sont néanmoins frustrées de constater qu’Ilian Marco est aujourd’hui seul sur le banc des accusé alors qu’il n’est que le maillon d’un réseau beaucoup plus vaste. On peine à croire qu’Ilian Marco a agi de manière isolée. »
Arrêté en 2020 avec 537 000 euros en liquide et 7 téléphones
Ilan Abraham Marco avait été arrêté en Israël en novembre 2020 et extradé en septembre 2021 en France. Il avait été arrêté alors qu’il jouait au volley sur une plage de Tel-Aviv. Chez lui, les policiers avaient trouvé 537 000 euros et 88 000 dollars en liquide, ainsi que 7 téléphones et des cartes de crédit. Devant les policiers israéliens, Ilan Marco avait commencé par nier les faits, évoquant un héritage rapporté de France lors de son installation en 2011.
Les mentions « pro », « taf » ou « moi pro » portées sur ces différents appareils indiquent qu’Ilan Marco considérait ces arnaques comme sa véritable profession. Des fichiers de « leads », c’est-à-dire d’anciennes victimes d’arnaques considérées comme des prospects à démarcher ont également été saisis sur son ordinateur.
Cette technique, c’est ce que l’on appelle la « retape » en langage de voyou. On parle aussi de « recovery room », d’arnaque dans l’arnaque ou de faux recouvrement. Certaines retapes se développent au moyen de sites internet de fausse agences sans liens direct avec les arnaques initiales. D’autres sont organisées en parfaite coordination avec les escrocs de l’arnaque initiale. Ilan Marco est dans cette situation-là.
Le procès d’Ilan Marco jette une lumière crue sur l’articulation de la retape avec les arnaques initiales et sur les services connexes comme le blanchiment d’argent. Ilan Marco était en contact avec plusieurs petites équipes d’escrocs décentralisées exploitant des arnaques diverses et prenant contact avec lui pour lui confier la retape de leurs victimes.
Une véritable coordination entre escrocs: la bande organisée
Les arnaques initiales se déployaient avec des scénarios bien connus de notre site: trading, diamant, immobilier, cannabis thérapeutique… Pour la retape, Ilan Marco élaborait un scénario en coordination avec les escrocs de la première arnaque afin de concevoir un discours ayant le plus de chance de déclencher un nouveau virement de la part de la victime.
Pour y parvenir, Ilan Marco n’hésitait pas à se faire passer pour un faux policier, un faux douanier, un faux magistrat, un faux huissier… Il produisait également toutes sortes de faux documents élaborés par ses soins. L’usurpation d’identité d’autorités administratives, c’est sans doute cela qui a incité les autorités à mettre des moyens d’enquête suffisants et demander une coopération avec la police israélienne. Plusieurs victimes le regrettent à mot couvert.
Le cas d’une victime ayant d’abord perdu près de 650 000 euros a particulièrement mobilisé la coordination entre Ilan Marco et deux personnes non identifiées, responsable de l’arnaque initiale, marquant par la ce degré de coordination et donc l’escroquerie en bande organisée. Les comparses d’Ilan Marco lui avaient bien indiqué que ce dernier devait pouvoir le soutirer encore 150 000 euros.
Des compétences techniques au service de la dissimulation
Pour avoir l’air de contacter effectivement ses victimes depuis la France alors qu’il se trouvait en Israël, Ilan Marco louait des numéros de téléphone français en VOIP auprès d’une société israélienne de téléphonie, PC-LAB, basée à Netanya, l’une des villes les plus francophone d’Israël. Il utilisait également l’application ON/OFF, qui permet à n’importe qui de louer des numéro de téléphone locaux dans le monde entier.
Pour donner un air officiel à ses mails, il avait également recours au maquillage d’adresses mail. Cela consiste à utiliser une fausse adresse mail, à la fois proche d’une adresse officielle et qui s’affiche comme une véritable adresse mail. (par exemple prénom.nom@douane.gouvernement.fr à la place de prénom.nom@douane.gouv.fr)
Ilan Marco a aussi inventé l’intervention de plusieurs faux interlocuteurs, tous joué par lui, en maquillant sa voix, pour ajouter de la crédibilité à ses tentatives. Il lui est arrivé de prendre un accent marseillais. Et quand cela ne suffisait pas, Ilan Marco n’hésitait pas à recourir aux menaces physiques et aux insultes. Il savait faire monter la pression sur les victimes jusqu’à les prévenir qu’il n’hésiterai pas à les « casser », les « briser » et « niquer leur mère ».
Un service de blanchiment B2B très professionnel
Dans le téléphone d’Ilan Marco, les enquêteurs ont trouvé des échanges entre ce dernier et une équipe spécialisée dans l’ouverture de comptes bancaire destinée au transit et au blanchiment de l’argent. 75 comptes bancaires ouverts dans des banques européennes ont ainsi été recensés.
Sur ce canal, Ilan Marco recevait régulièrement un nouveau RIB désignant un nouveau compte bancaire à chaque fois que les anciens étaient bloqués, pour les transmettre à ses victimes pour les prochains envois de fonds. L’enquête ne dit pas comment Ilan Marco récupérait l’argent à l’issue de ce circuit de transit.
Les SMS étudiés par la police révèlent également qu’Ilan Marco s’est vu proposer par un certain Julien Erlanger, pseudonyme « Snoop Dog », gérant de la société AM Développement, de profiter de compte bancaires pour faire transiter les fonds de victimes. La proposition semble n’avoir jamais été concrétisée.
Cette première audience a permis d’apprendre qu’Ilan Marco, qui comparaissait libre, fait l’objet d’une autre procédure judiciaire sur laquelle aucun détail n’a filtré.
De nombreuses victimes du Livret Alpha de Laurent Chenot ont été contactées par des personnes qui leur promettaient de récupérer les fonds perdus.
Ces personnes semblaient bien informées, trop même.
Ce peut faire penser que Laurent Chenot, ou ses sbires, collaboraient activement avec ces escrocs.
Nous avons pu consulter le jugement condamnant Ilan Marco. Plusieurs éléments intéressants en ressortent:
-> Ilan Marco a commencé dans les affaires en France en créant en 2007 avec sa mère AFPP 26, une société d’ « Édition de revues et périodiques », qui lui servait à vendre des encarts publicitaires, un business qui a souvent été le cadre d’escroqueries. C’est probablement à cela qu’il fait référence dans une conversation interceptée par les enquêteurs « Il expliquait en effet avoir commencé à travailler dans la publicité, en réalisant des escroqueries dans ce domaine, qui lui rapportaient 20 000 à 25 000 eurospar mois environ ».
-> Ilan Marco a déclaré « avoir acheté entre 1500 et 2000 « leads » entre 1 et 50 € ». Les leads sont des données personnelles de victimes potentielles.
-> « S’agissant de la réception et du blanchiment du produit des escroqueries, il expliquait que des contacts en Israël lui proposaient par WhatsApp ou Télégram différents comptes bancaires mis à disposition en Pologne, Roumanie, Hongrie et même en France contre une commission allant de 30 à 50 % du montant des fonds virés par la victime selon la destination souhaitée (les comptes en France étant tarifés plus cher) » (extrait in extenso du jugement).
-> « Sur le blanchiment des fonds, il précisait qu’en Israël, entre 8 et 10 « grosses têtes » de la décaisse disposaient des comptes et que sous le contrôle de ces personnes, des grossistes pouvaient distribuer à des gros bureaux, qui relayaient ensuite à des « petits intermédiaires pour des mecs qui travaillaient comme lui en indépendant ». Il indiquait ainsi se fournir auprès de ces intermédiaires ou de la « branche au-dessus » – les bureaux. Il expliquait transmettre aux victimes les IBAN de comptes européens, notamment en Pologne, Hongrie et Portugal, et que l’argent déposé sur ces comptes partait sur un change ou un compte à Hong Kong. Ensuite, le « chefdes travailleurs chinois » disposait de personnes pour faire circuler les espèces jusqu’en Israël. Il confirmait l’évaluation du préjudice des victimes à environ 1,6 millions d’euros et estimait qu’à l’issue du circuit de blanchiment, un peu moins d’un million d’euros lui étaient en définitive revenus » (extrait in extenso du jugement).
-> « Lors de son interrogatoire de première comparution le 15 septembre 2021, Ilan MARCO déclarait avoir décidé de rentrer volontairement en France afin de répondre de ses actes, raison pour laquelle il avait renoncé aux procédures d’appel en cours en Israël contre son extradition. Néanmoins, dans un courrier adressé à l’Ambassadrice Israélienne en France le 22 mars 2022, il déplorait que l’Etat d’Israël l’ait extradé, qu’on ait « vendu un frère » et indiquait que cela lui rappelait l’idéologie « des kapos du régime NAZIS de la seconde guerre mondiale » ce qui pouvait laisser planer un doute sur le caractère spontanément consenti de cette extradition » (extrait in extenso du jugement)
-> Ilan Marco estime « qu’il y aurait 4 000 escrocs de ce type en Israël, dont une vingtaine qu’il connaissait ». Il a cependant refusé de donner leurs noms.
-> Le jugement relève que « ces faits ont été commis dans le contexte d’une absence totale d’empathie, avec un remarquable cynisme, comme en témoignent les conversations Whatsapp interceptées ». Ainsi: « y a deux choses qui paient chez les français, la cupidité (…) et ils ont peur de l’uniforme, voilà. Donc là demain il va avoir l’uniforme qui va se ‘présenter à la porte », ou à un autre: « t’as pas un beau client qu’on peut enculer là ?».
-> Ilan Marco a été en couple avec Sarah Goutvaks, une franco-israélienne impliquée dans des arnaques au trading. En effet, elle a occupé le poste de « Head of french market / responsable acquisition » (cher du service francophone / responsable des acquisitions) chez ESN Global Media Ltd, qui n’est autre que la branche israélienne du site de trading Alvexo, sur lequel nous avons publié une enquête accablante.
-> Ilan Marco a probablement travaillé lui-même dans l’industrie frauduleuse du trading (forex et options binaires) puisqu’il raconte dans une conversation qu’après avoir mouillé dans les arnaques aux encarts publicitaires, « désireux de gagner davantage d’argent, il a ensuite commencé à se tourner vers « l’investissement », business plus rentable, puis les escroqueries « à la retape ». Il expliquait même avoir testé tous les postes possibles dans ce domaine ». Cette description fait sans doute référence aux différents postes que l’on peut occuper dans un call-center d’arnaque en Israël.
-> L’association ADC France spécialisée dans la défense des victimes d’arnaque s’était constituée partie civile. Mais le tribunal a rejeté sa demande au motif que ses statuts la présentent comme une association de consommateurs alors qu’il s’agissait d’une affaire d’escroquerie en bande organisée.