Ces derniers mois, nous retrouvons de manière récurrente plusieurs articles dans divers pays relayant des propositions de revenu minimal plus ou moins abouties sur une idée resurgit du fond des utopies, un concept aussi curieux qu’irréaliste et dont l’application apparaît pourtant plus proche que jamais.
Pour autant, l’idée est suffisamment intéressante pour que quelques lignes lui soient consacrées car elle apparait comme une solution pour des courants de pensée que tout oppose et dont, s’ils s’accordent sur son application, divergent radicalement sur les objectifs à atteindre. Une petite description rapide de la mesure permet d’en étudier les contours. Il s’agit du versement d’une allocation mensuelle d’un montant fixe pour chaque personne sans aucune condition particulière. Selon les courants de pensée, un nom différent pourra lui être donné : revenu minimum universel, revenu de base, impôt négatif, etc.
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ToggleRevenu minimal : la vision néo-keynésienne
De prime abord, une prime mensuelle sans conditions et pour tout le monde, nous avons un côté très égalitariste qui fait penser à l’univers communiste, en tout cas à première vue.
Pourtant, l’objectif de cette mesure n’est pas d’aller faire un premier pas décidé pour exhumer les errements des économies dirigistes du passé mâtiné d’utopies du XIXème siècle et correspond à une réalité différente. En effet, le côté relance de la consommation sera mis en avant pour donner un vernis très keynésien à la mesure et la présentation prend rapidement un tour très social où le côté économique est pudiquement évacué sur les avantages en termes de cohésion sociale où personne n’est laissé de côté et où l’Etat assure à tout un chacun un soutien minimal… ou maximal selon les versions.
Il est évident que d’un point de vue économique, cette mesure n’a pas une grande originalité par rapport aux politiques de redistribution sociales actuelles. Il s’agit tout au plus d’une extension et d’un changement de conditions de distribution, ce qui laisse tout entières les questions de son financement, tout en ouvrant la porte à de nouvelles considérations éthiques, liées à l’absence de contrepartie ou de conditions. Ne va-t-on pas laisser croire que l’argent est gratuit ? Cela ne va-t-il pas créer une désincitation à travailler et nuire à l’activité économique ?
Ces considérations sont probablement les raisons pour lesquelles ce type de mesures n’a jamais réellement été introduit à l’échelle d’un pays, hormis quelques expérimentations locales qui sont restées sans lendemain en raison de leur caractère très spécifique, notamment liées à des revenus pétroliers.
Revenu minimal : les conceptions libérales
D’un autre côté, nous avons des conceptions radicalement différentes reprises par différentes écoles libérales avec là encore, des nuances quant à leur objectif.
La mise en place de ce revenu, de cette allocation, s’entend en remplacement de tout autre aide sociale. Le revenu minimal s’entend alors comme un vrai minimum, et pas nécessairement suffisant pour pouvoir en vivre. Il s’agit d’une simplification drastique du mode d’affectation de ce revenu. L’objectif est ainsi de répondre au rôle de l’Etat de support en cas de dernier recours, d’assistance pour les membres de la population victime d’accidents de la vie tout en évitant les effets pervers que sont la définition de conditions, nécessairement subjectives, d’attribution desdites allocations. En effet, rien n’est plus sujet à des conditions variant socialement, historiquement et politiquement que les motifs pour lesquels telle ou telle personne aurait ou pas droit à l’attribution de revenus issus de la redistribution. Avec une telle mesure, de nombreux débats et des questions épineuses sont ainsi résolues. De plus, cela retirerait des possibilités de mener des politiques de clientélisme visant non à obtenir une amélioration économique ou sociale mais un résultat très concret en termes de soutien politique à un parti. Vu sous cet angle, cette mesure apporterait un assainissement certain, ce qui paradoxalement est son plus grand défaut, car il est à peu près certain qu’aucune force politique n’irait se priver d’un moyen d’action.
La question du financement est hautement intéressante car elle fait intervenir plusieurs niveaux d’analyse. Tout d’abord la pensée libérale juge sévèrement la redistribution, car elle suppose son pendant obligatoire, le prélèvement qui est perçu comme étant illégitime s’il est utilisé pour financer ce qui ne rentre pas dans le cadre strict des fonctions régaliennes (police, armée, justice, etc.). Néanmoins, si la mise en place d’un filet minimal de sécurité de la part de l’Etat peut se concevoir, la redistribution donne alors lieu à des variations diverses, allant de la perte totale ou partielle de l’allocation en cas de perception de salaire au concept d’impôt négatif et donc de la non distribution de l’allocation en échange de la non perception de la somme d’impôt équivalente.
Ces conceptions ont un but : la simplification du fonctionnement de l’Etat et la réduction du coût de la fonction de redistribution de l’Etat en supprimant les postes de fonctionnaires affectés à ces tâches. Cette simplification peut être la fin en soi ou bien, notamment dans le cas de Milton Friedman, le prélude à la suppression pure et simple de toute politique de redistribution publique.
Ces considérations mises à part, il convient également de se pencher sur le cas d’une autre branche de l’alternative qui lie la distribution de ce revenu avec la création monétaire. Si nous sommes aujourd’hui dans le cadre d’une création monétaire par le biais du crédit, il s’agit d’une conception où la création monétaire est le fait de l’Etat et les sommes nouvellement créées sont réparties équitablement entre tous les membres de la population.
Cette dernière version nécessite des modifications assez radicales de nos économies, notamment d’un point de vue monétaire et bancaire.
Elle reste également controversée d’un point de vue strictement libéral, car elle implique de renoncer à la conception de neutralité de la monnaie. Dans cette vision, toute création de monnaie va nécessairement conduire à une inflation équivalente qui va neutraliser l’effet richesse ainsi créé.
Ce dernier point peut toutefois être modéré dans le sens où l’effet richesse dû à la création monétaire est immédiat, alors que l’inflation ne sera constatée qu’après coup. Le bénéfice de cette création est donc plutôt porté aux ménages, alors que le coût sera réparti uniformément sur les entreprises et les ménages.
Nous venons de le voir, au-delà des considérations des uns et des autres, il est clair que les implications d’une telle mesure font qu’il est hautement improbable qu’elle soit mise en œuvre. Outre le coût financier, la réaffectation des fonctionnaires perdant leur poste, le changement également entre les gagnants et les perdants de cette mesure et plus encore le coût politique en termes de perte d’opportunité de clientélisme fait qu’il s’agira pour longtemps encore d’une utopie et d’un exercice de réflexion.
Revenu minimal : concrètement, que peut-il se passer ?
Maintenant, voyons les choses sous un angle plus concret. Ces différentes propositions émanent de gouvernements qui ne sont pas réputés pour leur amour immodéré des conceptions théoriques libérales. Il est peu crédible de penser qu’ils sont animés par la volonté de réduire drastiquement les prestations sociales, ce qui est dans un premier cas la contrepartie attendue de la mise en place de cette mesure. De l’autre côté, il est également illusoire de penser qu’ils vont complètement révolutionner la création monétaire. L’on imagine les difficultés innombrables avec la BCE et les autres pays européens, pour ne parler que d’eux.
Il est également intéressant de jeter un œil sur les critiques les plus courantes. La question du financement tout d’abord. Si la contribution est de 50 euros, les financeurs vont devoir payer également l’équivalent de 50 euros par personne. La subtilité est que les financeurs sont constitués des personnes physiques, mais aussi des entreprises.
Ensuite, la critique de l’inflation créée est réelle, mais cela ne retire pas tout l’intérêt à la mesure, car l’inflation va arriver en fin de course, en fin de période quand les agents économiques vont augmenter les prix pour s’adapter à l’augmentation de la masse de monnaie en circulation. Le coût de la mesure sera supporté par tout le monde en termes d’inflation. Par contre, dans un premier temps, il y aura un effet richesse certain pour les allocataires.
Dans un cas comme dans l’autre, les entreprises sont les perdantes
En réalité, il faut voir dans ces annonces un mélange de communication à usage électoral et l’application toujours plus poussée de solutions issues du corpus théorique néo keynésien sous la forme toujours en évolution de la synthèse qui a été élaborée dans les années 60, largement après le décès de Keynes lui-même. Ces solutions constituant le corps et la structure des conceptions à l’œuvre dans la plupart des pays occidentaux, il s’agit d’un avatar somme toute logique à une situation de chômage de masse que n’arrivent plus à juguler ces théories, en renforçant la redistribution de manière massive et universelle.
Cette solution ne peut avoir que des avantages aux yeux des administrations car nous serions dans une fonctionnarisation de fait de la population et donc une extension toujours plus recherchée de leur domaine d’intervention.
Dès lors l’application pratique de la mesure se fera nécessairement dans les conditions suivantes :
- Hausse massive de la fiscalité pour le financement
- Maintien de toutes les autres aides sociales
- Aucun changement dans la création monétaire qui sera toujours réalisée via le crédit