Le scandale des locations financières hors établissement en vente one shot (LLD)

Citycare et Locam

Ces contrats aboutissent à faire payer des équipements bien plus chers. Ils servent à abuser de nombreuses TPE et indépendants démarchées par des commerciaux « hors établissement ».

Un contrat de location OVNI

On a pris l’habitude de les appeler « location financière hors établissement en vente one shot » mais « location longue durée » ou LLD est sans doute la désignation la plus commune. Voici les différents éléments qui la composent:

  • « Location financière » parce que les promoteurs de ces contrats de location essayent de les faire passer pour un service financier plutôt que pour un contrat de location classique (« louage simple » au sens de l’article l’article 1709 du Code civil). L’expression « location financière » est une commodité de langage que l’on ne retrouve pas dans le droit en vigueur. Une certaine industrie du crédit tente de les faire passer pour des services financiers alors qu’il s’agit de contrats de location classique. Faire passer ces contrats de location pour un service financier permettrait aux sociétés de financement d’échapper aux contraintes du Code de la consommation depuis la loi Hamon de 2014 en faveur des TPE de 0 à 5 salariés maximum.
  • « Hors établissement » cela signifie essentiellement hors des locaux de l’entreprise du démarcheur, et donc démarchage dans les locaux ou domicile du professionnel démarché. Le vendeur se déplace au domicile ou au siège social de son client. « Hors établissement » peut également signifier que la vente s’effectue par téléphone. « La vente hors établissement commercial est une forme de vente risquée pour le consommateur qui peut être amené à contracter malgré lui, sous la pression d’un vendeur. Les abus sont fréquents » écrit la DGCCRF. Le législateur est donc venu étendre les garanties et protections du consommateur dans le cadre de ce type particulier de vente.
  • « One shot » signifie « en une seule fois », c’est-à-dire vente  à  l’issue  d’une seule visite du  démarcheur. On entre alors dans le champ de ce que l’on nomme communément la « location longue durée » ou LLD. La LLD a été épinglée à plusieurs reprises dans le domaine des équipements ménagers ou les voitures pour VTC. On reproche à la LLD « un prix faussement attractif » alors qu’ « elles se révèlent souvent 3 à 4 fois plus chères que l’achat » écrit l’UFC. Ces contrats ne prévoient pas d’option d’achat du bien, à la différence des contrats de location avec option d’achat (LOA). Dans la LOA, vous louez un bien, une voiture par exemple, que vous avez la possibilité de racheter à la fin de la location. Les  contrats de LOA relèvent du Code monétaire et  financier,  à  la  différence des contrats « location longue durée » ou LLD qui  relèvent  du Code civil et du Code  de la consommation. 

Location ordinaire ou location financière : un seul statut juridique

Si vous souscrivez un contrat de location traditionnel après avoir été démarché, vous bénéficiez de garanties et protections légales (articles L221-3 à L221-20 du code de la consommation). Ainsi « le contrat doit comprendre un formulaire de rétractation ». S’il ne comporte pas ce formulaire, le contrat est nul.

Le client dispose d’un droit de rétractation intangible pendant 14 jours. Cela signifie que l’on ne peut pas y déroger par une stipulation. Il suffit au client d’adresser un courrier recommandé avec accusé de réception pour notifier la rétractation, sans qu’il soit même besoin de justifier sa décision.

 un obstacle à contourner en faisant passer auprès des magistrats leurs contrats de location simple pour un service financier.
Extrait d’un document édité par l’ACPR Banque de France précisant que la LLD n’est pas un service financier.

Mais le code de la consommation prévoit également à l’article L221-2 que « les contrats portant sur les services financiers » ne sont pas concernés par ces protections. Une exception que des sociétés de leasing ont tout de suite perçue comme un obstacle à contourner en faisant passer auprès des magistrats leurs contrats de location simple pour un service financier, malgré les précisions données par la Banque de France elle-même.

L’affaire Citycare-Locam

C’est ainsi, un exemple parmi de nombreux autres, que la société Citycare SAS avait entrepris de vendre des défibrillateurs à des professionnels indépendant ou des petites entreprises. Citycare administrait le site le-defibrillateur.com. La société entre en affaire avec un poids lourd du leasing, la société Locam, filiale du Crédit agricole. Il est prévu que Citycare s’occupe de la vente en location des défibrillateurs. Et dès que la vente est actée, le contrat est cédé à Locam qui encaisse les loyers.

Extrait de l’ancien site le-defibrillateur.com

C’est ainsi que Citycare va vendre des dizaines d’appareils qui vont revenir aux clients bien plus cher que s’ils les avaient achetés sur catalogue. Sur le site internet de Citycare, on trouve par exemple un produit vendu 1548 euros hors taxes. Vendu via un démarchage et un contrat de location de longue durée, il peut finir par coûter entre 5820 et 7740 euros hors taxe. Le surcoût peut ainsi varier de 4272 euros à 6182 euros!

Des commerciaux mentent à leurs clients pour les convaincre de signer

Les vendeurs de défibrillateurs n’hésitent pas à mentir. Ils font croire à leurs client que cet équipement est une obligation légale. Les victimes ont expliqué par la suite que cet argument a été décisif pour elle. Un vendeur aurait même prétendu travailler de concert avec l’APHP, c’est-à-dire les hôpitaux de Paris.

L’un des cadres du groupe, Guillaume Fornas, n’hésite pas à laisser un faux avis sur le réseau Linkedin. Les acheteurs reçoivent une information parcellaire concernant la durée d’engagement de 60 mois ou sur la relation tripartite avec Locam. En 2018, Citycare déclare un chiffre d’affaire de 7,3 millions d’euros pour un bénéfice de 470 000 euros.

Évolution de la situation financière de Citycare

Dès 2015, la Direction départementale de la Protection de la Population ou DDPP, le bras armé de la DGCCRF dans les départements, commence à diligenter une première enquête. Plusieurs dizaines de plaintes s’accumulent, accusant Citycare de pratique commerciale trompeuse et de refus de recevoir le droit de rétractation de la part des clients.

En 2019, le Procureur de la République de Paris est saisi du dossier. En 2021, Citycare et Jean-Christophe Penne sont cités devant le tribunal correctionnel. Ils ont été condamnés le 3 novembre 2022 et ils ont fait appel de la décision.

Extrait de la décision de première instance condamnant Citycare et Jean-Christophe Penne.

Contrat de location? Contrat de location financière? Contrat mixte?

La nature du contrat entre le client-victime, Locam et Citycare va faire l’objet de débats juridiques approfondis.

En effet, pour prétendre s’exonérer des dispositions légales applicables à la vente « hors établissement », le consortium Locam-Citycare va s’ingénier à considérer les clients-victimes comme des professionnels et non pas des consommateurs, essentiellement au moyen de stipulations contrevenant au droit commun.

Schéma résumant la triple relation contractuelle instaurée entre Citycare, Locam et le client-victime.

En organisant ces ventes avec deux entreprises, l’une prestataire financier, Locam, l’autre faisant le commerce des défibrilateurs, Citycare, le partenariat entre la société de financement et le fournisseur entendait dédoubler la relation contractuelle avec le client-victime, en espérant faire qualifier le contrat entre Locam et la victime de contrat purement financier qui n’aurait pas été soumis aux protections offertes par le droit de la consommation.

D’autres partenariats de Locam: Incomm ou Cortix

Locam ne travaille pas qu’avec Citycare. Elle a noué des partenariats avec d’autres sociétés de ventes de produits ou de services suivant des schémas similaires. Locam fait l’objet de critiques massives sur les sites et forum permettant aux internautes de donner leurs avis, comme Trustpilot, droit-finances.commentcamarche.com, Facebook ou 60 Millions de consommateurs.

Locam avis
Exemple d’avis laissé sur Trustpilot à propos de Locam.

C’est ainsi que la société Incomm (incomm.fr) d’Aimé N’Guetta vend des sites internet à de jeunes entrepreneurs qui se plaignent massivement de ses pratiques. Un petit collectif d’une quarantaine de personnes s’est déjà constitué. Plusieurs de ces personnes ont du mettre la clé sous la porte à cause de l’endettement généré. Un blog centralise ces témoignages édifiants.

Incomm.fr avis
Extrait du site internet de la société Incomm

Ce partenariat avec Locam a engendré un contentieux massif dans de nombreuses juridictions en France, comme à Aix-en-Provence en 2023, à Lille en 2018, à Limoges en 2016… Ironie du sort, incomm.fr a fait l’objet d’une aide publique de la part de BPI France pour aider les PME!

Incomm.fr avis arnaque
Extrait d’un blog qui recueille des avis négatifs sur Incomm.fr

Même histoire avec la société Cortix de Hassane Hamza, Halima Hamza et Nathalie Hamza. Cortix a été placée en liquidation. Sa page Wikipedia comporte en paragraphe entier sur ses méthodes de ventes. Cortix était en partenariat avec Locam.

Cortix avis
Extrait de ka page Wikipedia de Cortix

La location financière ne suffit pas à écarter le droit de la consommation

Ce faisant, le groupe proposait ce que le droit désigne comme « contrat mixte », « contrat concomitant » ou « contrat successif ». C’est comme cela que l’on appelle des contrats séparés mais qui n’existent que l’un par rapport à l’autre. Inévitablement, la question de savoir ce qui se passe si l’un des contrats devait être annulé. Est-ce que les autres subsistent?

Dans une affaire assez semblable à celle qui nous occupe, la Cour de cassation a jugé en 2013 que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants (…). Sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».

Extrait de la décision de la cour de cassation.

En première instance, les juges reconnaitront que le contrat tripartite commercialisé par Citycare-Locam est bien un contrat mixte et non pas un contrat de location financière. En conséquence, les juges considèrent que ces contrats contreviennent largement au droit de la consommation.

Des dizaines d’histoires semblables

Locam n’est pas le seul acteur du marché. D’autres attelages entre société de vente et société de leasing proposent des services tout à fait comparables, tellement comparables qu’ils ont générés beaucoup de critiques et de contentieux devant des juridictions françaises:

Ce scandale avait déjà été identifié il y a 10 ans

Ce système a généré tellement de conflits qu’il a fait l’objet d’interventions gouvernementales et parlementaires.

En février 2019, la députée Virginie Duby-Muller dépose une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique de la méthode de vente forcée dite « one shot ». Hélas, cette commission d’enquête semble n’avoir jamais été constituée. Dans sa résolution, la députée indique que « cette technique de vente aujourd’hui détournée, massivement développée via le numérique, impacte de façon extrêmement négative de nombreuses entreprises françaises. »

Virginie Duby-Muller
Proposition de création d’une commission d’enquête sur le sujet, déposée par Virginie Duby-Muller

En octobre 2021, le sénateur André Vallini adresse de nouveau une question au gouvernement sur ce sujet. En avril 2021, nouvelle question au gouvernement, formulée par le député Vincent Descoeur.

La loi Hamon et les questions au gouvernement n’ont pas suffi

La loi Hamon du 17 mars 2014 « relative à l’économie sociale et solidaire » avait déjà soulevé le problème, mais en y apportant des réponses seulement partielles. Au cours des débats, le ministre délégué avait ainsi pu déclarer qu’ « Aujourd’hui, nombre de petits entrepreneurs peuvent être l’objet d’un démarchage – je pense à des prestations pour la réalisation de sites Internet – à l’occasion duquel on leur demande de payer, pour un simple blog, des factures extrêmement importantes. Ils ont alors le sentiment d’avoir été lésés. Cela arrive aussi à des médecins pour l’achat de matériel informatique, médical, etc. La question était de savoir comment protéger ces petits entrepreneurs qui ne pouvaient pas bénéficier de la protection des consommateurs ».

En 2021, une question au gouvernement du sénateur du Cantal, Stéphane Sautarel est posée sur ce sujet. La réponse du Ministère indique que « les professionnels confrontés à ces procédés peuvent d’ores et déjà s’appuyer sur les dispositions du code de la consommation qui protègent les petits professionnels ». Il s’agit bien du « droit de rétractation de 14 jours ».

Cantarel one shot
Extrait du site internet du Sénat.

En attendant, les alertes s’accumulent de la part d’institutions publiques. Ainsi cette note de la DGCCRF publiée en mars 2022 ou cette alerte de la Cour des comptes, de l’économie, des finances et de la relance publiée, sur ce sujet.

Le Collectif Anti Location Financière ou CALF sonne l’alarme.

Presque 10 ans après, le problème semble persister durablement. Un « collectif anti location financière » ou CALF a été fondé par une ancienne victime, qui avait décortiqué le système après avoir remué ciel et terre pour se « débarrasser d’un contrat pour une télésurveillance avec la société de financement PARFIP (groupe BPCE) » PARFIP est aujourd’hui en liquidation…

Aujourd’hui, Pascal Cordin centralise toutes les informations sur le sujet, les diffuse et tente d’alerter les autorités. Il pointe le fait que « la solvabilité du « client » n’est jamais vérifiée », ce qui n’est pas sans rappeler les méthodes du crédit revolving ou des emprunts subprime aux États-Unis. La méthode rapporte gros à ces entreprises mais cela enlève toute utilité économique à l’opération puisqu’elle pousse carrément certaines structures à la faillite.

« Je me suis intéressé au sujet avec un mélange d’incrédulité, de révolte et de fascination ». Pascal Cordin admet avoir été naïf, même après sa victoire. « Je croyais que la société de financement n’était pas au courant de la méthode de vente alors qu’elle est à l’origine de ce modèle financier » raconte-t-il.

« J’ai rapidement constaté que mes interventions étaient gênantes pour les bénéficiaires de ces contrats. Mes articles, voire des forums entiers disparaissent suite à des courriers d’avocats ». En effet, les pages consacrées Cometik et Locam sur le forum de 60 millions de consommateurs ont été supprimées suite à ses interventions. « Je vois progressivement mes adversaires mis en liquidation judiciaire, mais hélas revenir avec autres raisons sociales et hommes de paille ».

Philippe Miller

Philippe Miller

Journaliste professionnel, télé et web, carte de presse n°115527, depuis 2010, spécialiste des arnaques financières, des paradis fiscaux et des mafias.

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Effectivement il y a des scandales qui continuent dans un silence médiatique impressionnant

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