Ces dernières années, nous pouvons constater la mise en place de mesures restrictives quant à l’utilisation du cash ou plus poliment de l’argent liquide. Différents pays, dont la France, ont abaissé leur seuil maximal autorisé pour effectuer des paiements en espèces. Ces mesures font souvent l’objet de campagnes de communication dans la presse mettant en avant la lutte contre les trafics et la réduction de la criminalité.
Le sujet est plus vaste qu’il n’y parait au premier abord et les conséquences risquent d’être nettement plus risquées que ne l’avancent ses promoteurs. La disparition de la monnaie fiduciaire, le cash, est réclamée par les banques centrales avec intérêt. Cet intérêt est également partagé par les gouvernements, mais pour d’autres raisons.
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TogglePourquoi faut-il que le cash disparaisse ?
Les arguments mis en avant pour supprimer le cash sont les suivants :
- Cela permet de lutter contre le crime organisé et les trafics en tout genre.
- Les billets et pièces de monnaie sont un archaïsme du passé et le progrès consiste à passer à la monnaie scripturale intégrale.
- La fabrication et le renouvellement des billets et des pièces ont un coût. Le supprimer permettrait de faire des économies non négligeables.
- Cela réduit le risque de vol ou de cambriolage et permet de mieux sécuriser les transactions.
Premièrement, si nous avons tous en tête le fait que réaliser des transactions en cash garantit de fait l’anonymat de l’échange, il n’est pas tout à fait exact de lier son usage à la criminalité. En effet, nous pouvons constater notamment dans le domaine de l’escroquerie que les transactions ne sont jamais réalisées en espèces, mais toujours en monnaie scripturale, avec des comptes bancaires et des opérations rigoureusement traçables. De fait, les criminels sont comme des agents économiques classiques, c’est-à-dire qu’ils préfèrent largement les avantages de pouvoir faire un virement pour les grosses sommes plutôt que de se fatiguer à transporter des valises de billets au travers de dizaines de frontières.
Les groupes criminels organisés sauront s’adapter à la situation et, loin d’en être pénalisés, ils y trouveront un avantage certain, et nous verrons plus bas comment, ce qui n’est pas de l’économie grise, c’est-à-dire les opérations en partie illégales en général faites par des gens normaux. On peut penser à la femme de ménage ou à la baby-sitter où toutes les heures travaillées ne sont pas toutes déclarées ou travaillant carrément au noir.
Les vrais motifs
La vraie raison qui pousse les banques centrales, notamment la BOJ et la BCE, c’est la mise en place de taux d’intérêt négatifs dans le cadre de leur politique monétaire accommodante d’inspiration néo-keynésienne.
Le problème principal avec les taux d’intérêt négatifs, c’est qu’il est extrêmement simple de s’y soustraire. Plutôt que de devoir payer un taux d’intérêt mensuel à sa banque, il suffit simplement de retirer son capital en billets et de les stocker à la maison, le stockage de billets dans des coffres de banques commençant à être restreint, voire interdit par certains établissements. Dans ce contexte, la suppression du billet de 500 euros et de celui de 100 $, qui commence à être évoquée, va rendre l’opération plus complexe à réaliser.
Il s’agit de l’application de la théorie du « no place to hide », autrement dit, il doit devenir impossible de se soustraire à la taxation des dépôts courants.
Car, si des personnes arrivent à échapper aux taux d’intérêt négatifs, nous avons une fuite dans le système qui va d’une part rendre la mesure inefficace et d’autre part des retraits massifs de monnaie papier ne sont pas compatibles avec les capacités de monnaie fiduciaire en circulation.
Quand le pouvoir législatif y trouve également avantage
Du point de vue des gouvernements, l’affaire est également entendue tant les avantages attendus sont forts. L’aspect de lutte contre la criminalité organisée est assez marginal. Il faut plutôt avoir en tête l’aspect de lutte contre l’économie grise, celle dont le manque à gagner fiscal et social fait saliver tous les ministres des finances, car l’enjeu financier est beaucoup plus grand. Il est en effet nettement plus facile et plus rentable de collecter de l’argent avec des gens honnêtes ayant fauté que des bandits de grand chemin.
Egalement, en rendant de fait traçables toutes les transactions, nous retombons également dans le fantasme policier de pouvoir suivre et intervenir de manière extrêmement fine dans les opérations illicites.
Que se passerait-il en cas de suppression des billets ?
Déjà, l’aspect de surveillance ne présenterait que peu d’intérêt, car que les masses de données qui seraient alors disponibles resteraient assez ardues à traiter et n’apporteraient que peu d’avantages par rapport à un travail de police classique sur le terrain. Dans le domaine policier, les transactions sont des éléments à lier à une situation de terrain. La connaissance parfaite des échanges économiques ne donne pas nécessairement une connaissance totale de la structure des réseaux qui sont basés sur des relations humaines.
Evidemment, cela ne serait pas le cas pour l’administration fiscale car dans le domaine financier, l’illicéité des opérations se suffit à elle-même. Le premier problème est dans la taille de l’économie grise, qui est principalement un moyen de se soustraire à des règles fiscales et administratives jugées excessives. En retirer la possibilité à la population ne va pas en éteindre le besoin, celui-ci va s’exprimer par des moyens différents.
Nous aurions donc immédiatement la disparition de l’économie grise, avec trois conséquences, la première est un report sur l’offre légale, la seconde un arrêt des opérations dans les cas où l’offre légale est jugée trop chère et la troisième conséquence est un basculement dans l’économie totalement illégale.
Par conséquent, nous aurons toujours une demande pour utiliser une monnaie fiduciaire. Si l’Etat renonce à ses prérogatives d’émettre une monnaie fiduciaire, ce besoin sera alors satisfait par d’autres sources. Parmi les sources légales, nous pouvons avoir les expériences de monnaies locales qui pourraient prendre de l’importance, mais localement justement. Ces expérimentations limitées pourraient alors devenir plus durables dans un contexte de retrait des espèces.
Egalement, les crypto-monnaies et autres Bitcoin, même si elles ne sont pas par nature des monnaies fiduciaires, pourraient répondre au souci de se soustraire à une contrainte administrative et réglementaire trop forte. La mise en place de sociétés sans cash pourraient leur donner leur essor qu’elles n’ont pas à ce jour.
Plus grave serait l’émission de monnaies privées. Plus grave, car en cas de retrait de la circulation des billets, seuls les groupes criminels organisés pourraient justement avoir la capacité de conserver suffisamment de billets pour leurs usages propres. Evidemment, ces billets ne seraient pas échangeables dans des banques, mais seraient donc gagés par ces groupes criminels eux-mêmes, qui seraient alors obligés de développer des services bancaires illégaux pour leurs besoins propres (service de dépôts, de prêts, d’emprunts pour leur usage propre ou pour la population exclue du réseau officiel qui tomberait entre leurs griffes, etc.). Ils seraient en mesure de gager les échanges grâce à leur contrôle physique d’un territoire donné à un moment donné.
Pour autant, ce cas d’explosion de monnaies criminelles serait assez improbable et s’il existe, ne dépasserait pas le cas d’un quartier ou tout au plus d’une ville.
Non, le risque principal n’est pas là. Le risque principal serait que la population utilise toujours des pièces et des billets…. émis par d’autres pays. L’usage verrait donc la circulation de dollars, de dinars de toutes origines, de roubles, de roupies, de réal et autre yuan.
Les groupes criminels auront donc la possibilité soit d’utiliser ce qu’il reste de billets en circulation, ou bien des devises, tout à fait échangeables dans les réseaux bancaires, ou éventuellement d’émettre une monnaie papier ou en métal précieux, or ou argent.
Evidemment, les transactions seraient illégales, ce qui signifie qu’il va se développer au fil de l’eau un véritable marché noir avec des marchandises hors circuit, c’est-à-dire de contrebande.
Nous venons de le voir, la fin du cash va signifier le renoncement de la puissance publique à l’émission de la monnaie fiduciaire, ouvrant un boulevard aux sources d’émissions privées… privées et illégales et surtout la mise en place de monnaies étrangères pour les transactions réalisées sur le territoire national.
Que peut-il se passer ?
Par conséquent, nous risquons de nous retrouver dans une situation où, à côté d’une monnaie officielle scripturale, circulent au mieux de nombreuses devises, au pire des monnaies fiduciaires privées émises par des organisations criminelles. La monnaie officielle aura fort à faire pour perdurer et risque de disparaitre de la circulation de tous les jours pour être réservée dans les échanges avec l’administration, comme nous l’apprend la loi de Gresham, résumée sommairement sous le précepte : « La mauvaise monnaie chasse la bonne ».
De cette situation, nous aurons probablement :
- une baisse de l’activité économique en raison des agents économiques ayant recours à l’économie grise actuellement et préférant cesser les échanges plutôt que de passer par une offre légale.
- un échec de la politique de taux négatifs des banques centrales car la population va se réfugier dans des offres de monnaies exotiques hors système, jugées plus sûres mais présentant autant de fuites dans le système.
- une explosion de la criminalité car seules des organisations illégales puissantes auront les moyens d’émettre et de gager une monnaie illégale sur un territoire donné, ce qui va leur donner des nouveaux pouvoirs qu’elles n’ont jamais connus à ce jour.
- un morcellement économique des territoires lié aux zones de circulation de ces monnaies et à la difficulté d’effectuer des échanges entre ces différentes zones, avec une explosion des taux de changes et des transactions effectuées sous le manteau.
- une explosion du marché noir et des risques liés à une explosion de la circulation de marchandises de contrebande, la seule pouvant être achetée avec de la monnaie non officielle.
- aucune amélioration des capacités de traitement de la police car les échanges économiques vont se réaliser hors de leur surveillance, comme c’est le cas actuellement pour les échanges en espèces.