L’appli devait être révolutionnaire et devenir l’UBER des services à la personne. Elle s’est crashé en plein vol en 2018. Que s’est-il passé?
Sommaire
Toggle- L’Uber des services à la personne s’effondre en quelques mois
- ConnectJob fait le choix de se financer par une ICO
- Prétendre créer le prochain UBER des services
- D’abord annoncer le projet et ensuite travailler le projet
- Créer l’Uber des services en sous-traitant sa conception?
- 40 développeurs ukraniens tous freelance et pas d’entreprise en Ukraine
- Pourquoi installer son siège à Gibraltar?
- L’adresse de ConnectJob à Gibratar répertoriée dans les Panama Papers
- AKA Partners Limited, un partenaire des Îles Vierges Britanniques
- Le partenariat avec Centurion et Ali Kassab tourne court
- Yoni Assouline avait fait le déplacement à Dubaï avec Simon Eischen
L’Uber des services à la personne s’effondre en quelques mois
Sur le papier ce projet devait être révolutionnaire. Comme tant d’autres. ConnectJob prétendait devenir l’ « Uber des services à la personnes », « en faisant se rencontrer les demandeurs de services (« users ») et les fournisseurs (« jobbers ») ».
Son fondateur Yoni Assouline, s’était entouré de pontes comme Jonathan Gueron, Jeremie Berrebi, Marc Kenigsberg, Tetsuyuki Oishi, Hubert de Vauplane, Simon Eischen ou Beni Beeri Issembert.
Et puis quelque chose n’a pas fonctionné. En 2018, dernier élan de communication du PDG, Yoni Assouline, qui se confond en excuses. Après, plus rien… Que s’est-il passé? Nous avons tenté une fouille archéologique numérique pour comprendre l’enchaînement qui a mené à une catastrope qui a laissé des investisseurs particuliers sur le carreau. Ils commencent à s’en plaindre à partir de septmebre 2018.
ConnectJob fait le choix de se financer par une ICO
Le whitepaper est daté du 30 janvier 2018 et il est toujours consultable sur ce lien. « L’application devrait permettre à partir de 2018 de trouver des babysitters, jardiniers, coachs sportifs ou bien de proposer ce même type de services. »
Pour se financer, la start-up faisait le choix de lancer une ICO pour lever 130 millions d’euros en deux fois. Un choix qui avait aussitôt suscité des craintes d’arnaque. Connectjob s’était empressée de rassurer en assurant que son ICO serait une « ICO responsable », respectant la « charte des ICO ». Ainsi naquit le CJT.
Pourtant le fait de se financer par une ICO n’était pas le seul red flag qui aurait du tirer le signal d’alarme.
Prétendre créer le prochain UBER des services
Une appréciation personnelle: nous nous méfions toujours des start-ups et autres projets disruptifs qui se présentent d’emblée comme le prochain Uber, Apple, Google ou Facebook. Parce que ce que les GAFAM ont rétrospectivement en commun, c’est précisément de ne s’être jamais présenté d’emblée comme les futurs GAFAM. Ils se sont concentrés sur une idée, un concept, parfois inventé par accident.
En revanche, ce que de nombreuses arnaques ont en commun, c’est précisément de s’être présentées comme un future GAFAM ou leader, avant même que ne soit posée la première pierre d’un futur empire. Dès qu’un projet se présente comme la future plateforme intégrale, multiservice et définitive, nous nous en méfions instinctivement.
Nous pensons que cette façon de communiquer sert à appuyer sur les leviers psychologiques du FOMO (« fear of missing out » en anglais, c’est-à-dire la peur de rater une opportunté). Il signifie: vous avez la possibilité d’être l’un des tout premiers actionnaire du prochain UBER. Ne passez pas à coté… La question de savoir comment l’entreprise va devenir le prochain UBER devient secondaire. La communication n’y répond pas trop car elle est présentée comme une évidence. Cette communication entretient l’idée fausse que pour créer le prochain GAFAM, il suffit d’avoir une idée géniale et des investisseurs. Et le tour est joué. Mécaniquement, le succès sera au rendez-vous.
D’abord annoncer le projet et ensuite travailler le projet
Dans l’histoire de ConnectJob, la communication semble avoir été bien plus importante que la qualité du service proposé. La chronologie du projet est assez étrange. Ses promoteurs semblent s’être appliqués à mettre la charrue avant le boeufs, en multipliant les annonces avant même que le projet soit réellement élaboré et présentable. Récapitulons cette chronologie:
- Octobre 2017: premières communication de la part de ConnectJob. Le compte Twitter de l’entreprise repost un Tweet. L’un des fondateurs de ConnectJob commence officielement à travailler pour ConnectJob.
- Début novembre, premières mentions de Connectjob dans la presse. Deux articles parus dans IsraelValley et Romandie.com. Mais ces articles ne sont plus en ligne.
- Fin novembre, premiers articles dans la presse généraliste.
- Octobre, novembre et décembre 2017, ConnectJob annonce le recrutement de personnalités des cryptos dont plusieurs sont de simples VRP de luxe qui vendent l’accès à leur crédibilité et à leur réseau pour promouvoir des projets dont ils ne se considèrent pas réellement comme des employés.
- Le 30 janvier 2018, publication du White paper qui prend enfin la peine d’expliquer officiellement le projet.
- 14 février 2018, début de l’émission du token CJT sur la blockchain à partir du wallet 0xd2d767C63021500efDae9Edc51362A892D042e77
- Le 12 mai 2018, le nom de domaine connectjob.io est enfin acheté!
- Le 11 juillet 2018, dernière vente de CJT enregsitrée sur le wallet de ConnectJob.
- 9 août 2018, ultime communiqué de presse officiel dans lequel Yoni Assouline tente de justifier les retards et échecs.
- Septembre 2018, des accusations d’arnaque commencent à être publiées sur le net.
Amateurisme ou pump and dump sohistiqué? La question se pose lorsque l’on étudie l’évolution cours du CJT, le token de ConnectJob.
Entre le 14 février 2018 et le 11 juillet 2018, le wallet d’émission du CJT a reçu environ 180 000 ether correspondant à environ 122 000 dollars. Pratiquement tout a été dépensé. Un millier de wallets continuent à détenir du CJT qui ne vaut plus rien. Dans cette publication du 9 août 2018, Yoni Assouline indiquait que les fondateurs avaient investi de leur poche un million d’euros. Dans la même source, Yoni Assouline indisuait n’avoir levé que « qu’un montant total de 1 637 Ethereum d’une valeur actuelle de 530 388 $, l’Ethereum ayant connu une chute depuis l’ICO ». Des affirmations difficiles à vérifier puisque la comptabilité de l’entreprise se trouve tenue dans un trou noir de la finance mondial: Gibraltar.
Depuis le mois de juin 2018, le token CJT est à l’état de mort cérébrales. L’encéphalograme est plat. Il y a bien eu quelques mouvements remarquables les mois précédents, qui sont faciles à corréler à des annonces ou des événements organisés par ConnectJob. Mais la sauce n’a pas prise et la valeur est partie.
Créer l’Uber des services en sous-traitant sa conception?
La start-up a installé son quartier général Tel-Aviv en Israël. Dans son ultime communiqué de presse, Connect Job décrit son équipe israélienne: un manageur, trois rédacteurs de contenus, deux community managers, un designer, trois personnes chargées d’animer un groupe Telegram ainsi qu’un chat et enfin, une équipe commerciale composée d’un responsable des ventes et de trois vendeurs. Cela ressemble à l’équipe présentée dans le White paper et que nous avons eu beaucoup de difficultés à retrouver sur Linkedin.
Ce qui nous surprend, c’est que l’on ne trouve aucun codeur d’application dans cette équipe. C’est que le développement de l’application avait été confié à une équipe composée de 9 personnes et basée à Odessa, en Ukraine. Yoni Assouline reste flou sur la nature de cette équipe. Etait-ce une véritable entreprise ukrainienne? Une équipe de freelancers réunis dans une task force? Dans tous les cas, cette équipe est présentée comme des sous-traitants extérieurs à ConnectJob.
Et Yoni Assouline de mettre en cause cette équipe dans son échec: « En raison d’une divergence stratégique et d’un conflit d’intérêts [avec l’équipe d’Odessa] (…) ce projet n’a pas pu être mené à bien. (…) Cet accord a été interrompu en mars 2018. Nous avons alors été contraints de développer une nouvelle version de l’application avec nos capacités financières limitées. (…) Cette application n’est pas à la hauteur d’un projet tel que ConnectJob ».
Peut-on sérieusement prétendre créer l’Uber des services en sous-traitant la conception de son application, à une entreprise située à 1500 kilomètres? Vous imaginez le fondateur d’Uber, Travis Kalanick faire une semblable déclaration…? Notez qu’aucun détail n’est donné sur la nouvelle équipe de développement.
40 développeurs ukraniens tous freelance et pas d’entreprise en Ukraine
Yoni Assouline prétend que ConnectJob n’a pas été développé correctement parce que cette équipe ukranienne travaillait au développement d’une autre application au détriment de ConnectJob, une application du nom de « Conci » (conci.info)
C’est un certain Uria Ohana qui semble avoir développé le projet Conci, puisqu’il se présente comme « Conci App | Product Manager – Société basée à New York, application d’assistant de voyage | environ 40 personnes ». Nous avons identifié plusieurs Ukraniens qui semblent avoit travaillé à cette tâche. Ils ont été recrutés pour la plupart à l’été 2017. Or, le projet ConnectJob est vraiment lancé fin janvier 2018, six mois plus tard.
Uria Ohana est un Israélien basé à Tel-Aviv. Il a fait l’objet par le passé d’une agression antisémites à New York. Uria Ohana présente sa collaboration avec Conci comme une collaboration en freelance, ce qui tend démontrer que cette équipe était un aggrégat de collaborateurs freelance.
Dans ce groupe de développeurs et en dehors, nous avons identifié plusieus personnes qui prétendent avoir travaillé au développement de ConnectJob. Cela fait donc au total très peu de personnes ayant éventuellement travaillé au développement de l’application. Nous avons recensé de façon certaine 5 personnes qui auraient éventuellement pu coder pour l’application. C’est particulièrement faible.
Tout comme ConnectJob, Censi a fait long feu. Le site, conci.info, n’affiche plus de contenu. Mais la wayback machine l’a archivé et nous permet de voir à quoi il ressemblait. L’application n’est plus disponible, ni sur l’appstore ni sur Google store. Reste une page Facebook, ConciRussia qui a publié entre le 15 juin 2017 et le 16 octobre 2017. Deux échecs pour la même équipe donc…
Pourquoi installer son siège à Gibraltar?
Une autre implantation exotique nous aurait tout de suite inquiété si nous avions été investisseurs. En plus d’Odessa, ConnectJob avait fait le choix de créer une entreprise à Gibraltar, dans les suites 7B et 8B au 50 town range. Si l’on s’en tient à icoholder.com, à Instagram et Linkedin, c’est même dans ce territoire britannique que ConnectJob était juridiquement basé. Le token CJT renvoie à cette juridiction.
Or, figurez-vous que les suites 7B et 8B de cet immeuble moderne sont répertoriés dans les Panama Papers.
L’adresse de ConnectJob à Gibratar répertoriée dans les Panama Papers
Cela signifie que cette adresse est celle d’un cabinet juridique qui servait de contrepartie au fameux cabinet Mossack Fonseka installé au Panama et qui proposait des services d’évasion fiscale et de dissimulation d’actifs à ses clients. En l’occurence, il s’agit de la société Finsbury Trust. Cette adresse est celle de dizaines de sociétés.
Pourquoi ConnectJob a-t-elle décidé de se domicilier à Gibraltar? Ses bureaux ne sont pas à Gibraltar mais en Israël. Elle n’a pas d’activité réelle dans ce territoire. Il s’agit d’une domiciliation fictive, pour faire « comme si » ConnectJob y était réellement installé. Les entreprises vont dans des paradis fiscaux (« paradis réglementaire » serait plus juste) comme Gibraltar, soit pour profiter d’une législation laxiste (pas uniquement en matière fiscale), soit pour dissimuler une activité frauduleuse. Si l’affaire tourne mal, qui ira porter plainte devant les tribunaux de GIbraltar?
Notez que Yoni Assouline, le PDG de ConnectJob, se présentait sur son Linkedin comme un résident de Gibraltar.
AKA Partners Limited, un partenaire des Îles Vierges Britanniques
Familiarisé avec les sociétés-écrans que l’on trouve des les juridictions du secret, Yoni Assouline avait également trouvé un accord avec Aka Partners Limited, une entreprise enregistrée aux Îles Vierges Britanniques, « pour la vente de 1,0 million d’euros de jetons CJT et une prise de participation de 2,6 millions d’euros en février 2018 », si l’on s’en tient toujours au dernier communiqué de presse avant effondrement, signé Yoni Assouline.
AKA Partners Limited est une étrange entreprise. Son site internet, aka-partners.com, ne donne aucune information précise sur ses propriétaire et ses activités. Il ne présente aucune mention légale. Sa page Linkedin prétend que l’entreprise serait en réalité à Londres. Mais son directeur, Karim Khoka, réside lui au Portugal tout en présentant AKA Partners comme une entreprise installée à Dubaï.
Le partenariat avec Centurion et Ali Kassab tourne court
Assouline savait-il à qui appartient AKA Partners Limited quand il noue un partenariat avec eux? En tout cas, il s’est bien gardé d’indiquer qui se trouvait derrière AKA Partners. Dans son dernier communiqué de presse, il raconte qu’AKA Partners Limited s’est empressé de proposer à ConnectJob de jouer les entremetteurs avec un invrestisseur de Dubaï, un certain « Centurion & Co ». Le communiqué de presse indique qu’il s’agit de la « la société opérationnelle d’AKA Partners Limited » sans plus de précision sur ce qu’il faut entendre par là.
Le groupe Centurion, nous en avons déjà parlé dans l’un de nos articles. Nous l’avions identifié comme banale arnaque au trading visant particulièrement des pays arabes. Leur site, centurioninvest.com, avant été placé sur liste noire. A l’époque cependant, la réputation de Centurion n’était pas à ce point mauvaise.
Derrière le groupe Centurion, on trouve H.E. Ali Kassab (H.E. signifie « son excellence », « his excellency » en anglais). Ali Kassab est un Français né en 1975 au Liban qui communique comme un influenceur sur Instagram. En France, il est lié à plusieurs sociétés: Wenext (dont le site est wenext.io), Luna Safe Service et Centurion Invest Europe, créée en 2020 et radiée du registre du commerce et des sociétés en 2023. A Chypre, il est lié à la société Freedom IP Limited dont le site internet est freedomipholding.com. A Dubaï, il a développé Centurion via le site centurionco.com qui renvoie à une société enregsitrée à Dubaï, Centurion Telecom.
Yoni Assouline avait fait le déplacement à Dubaï avec Simon Eischen
Les tentatives de mariage entre Centurion et ConnectJob ont laissé pas mal de traces sur le Facebook de Centurion. On croise par exemple cet Investor Breakfast consacré à ConnectJob le 25 janvier 2018, cette conférence organisée le 8 janvier 2018 dans un hôtel, ce live organisé avec Simon Eischen, membre de ConnectJob ou encore cet autre petit-déjeuner organisé le 18 janvier 2018. Il est même arrivé à Yoni Assouline de se rendre à Dubaï pour promouvoir le projet.
Cette intense promotion aura duré quelques semaines entre fin 2017 et début 2018. Ce qui en ressort contredit légèrement le compte-rendu fait par Yoni Assouline de cet échec. Centurion ne semble pas avoir renoncé à investir. Centurion semble avoir proposé de promouvoir le projet à Dubaï comme il l’a fait pour de nombreux autres projets, sans doute contre des commissions et du stock de CJT. Et à en juger par la très faible interaction recueillie sur les réseaux, effectivement, Centurion et ConnectJob semblent avoir échoué à lever des fonds dans l’émirat.
« Malheureusement, ces paiements n’ont pas été réalisés » raconte encore Yoni Assouline dans ce fameux communiqué de presse… Décidément, on ne rencontre pareille schlamassel que dans ce fameux film des frères Cohen.
Aujourd’hui, connectjob.io affiche toujours du contenu. Mais il s’agit désormais d’une offre appelée FollowersOn Inc, qui propose de s’acheter des followers sur Instagram…
Pour préparer cet article, nous avons tenté de prendre contact avec pratiquement tous les protagonistes de cette histoire. Seul Jérémie Berrebi a bien voulu nous répondre. Il s’est rappelé avoir été déçu et énervé par la tournure prise par le projet.