Les locations financières « mettent en péril la santé financière des TPE » affirme le CALF

Collectif Antilocfin CALF

Après avoir évoqué le scandale des locations financières hors établissement en vente one shot et nous êtres penchés sur le cas de Youlead (SITTI), puis sur le cas de Cliken, biim-com.com et avis-go.com, nous avons voulu donner la parole à l’animateur du Collectif Antilocfin (pour Collectif Anti Locations Financières) ou CALF. Ce collectif informel créé en 2018 intervient essentiellement sur Facebook. Il réalise un travail d’analyse et d’alerte salutaire.

Qu’est-ce que le Collectif Antilocfin ou CALF ?

Nous sommes un ensemble de collectifs regroupant les TPE (très petites entreprises NDLR) victimes d’un modèle économique toxique appelé location financière hors établissement en vente one shot. Ce sont des contrats de location longue durée  (LLD). Nous intervenons essentiellement sur différents groupes Facebook.

Ce sont des contrats tripartites entre un client, un fournisseur et une société de financement. L’objectif de ce ménage à 3 est d’obtenir aux dépens du client prospecté la signature de 2 contrats distincts  dont l’un est ensuite revendu  par le fournisseur à une société de financement (cession de créance). Le client pense n’avoir signé qu’un seul contrat avec le fournisseur.

Les acteurs de ce modèle financier misent sur la crédulité des victimes, leur découragement à entamer une procédure avec les frais d’avocat que cela entraîne, ainsi que sur l’ignorance des jugesAu départ, en 2009, je voulais simplement témoigner sur quelques forums comment, suite à une procédure devant un tribunal, j’avais pu me débarrasser d’un contrat pour une télésurveillance avec  la société de financement PARFIP (groupe BPCE).

En dialoguant avec d’autres intervenants de ces  forums, j’ai découvert qu’il s’agissait d’un modèle économique surprenant car la solvabilité du « client » n’est jamais vérifiée. Je me suis  intéressé au sujet avec un mélange d’incrédulité, de révolte et de fascination. Même après mon jugement je n’avais toujours pas compris la perversité de ce modèle économique. Je croyais que la société de financement n’était pas au courant de la méthode de vente alors qu’elle est à l’origine de ce modèle financier.

La cible de ces contrats étant les entrepreneurs individuels, et ayant été moi même entrepreneur individuel, la motivation était toute trouvée.
Professionnellement, j’ai souffert des crises économiques de 1991 et 2008 qui m’ont conduit deux fois à la cessation d’activité. J’ai vu dans ce combat contre la location financière en vente one shot une opportunité de me venger à mon échelle d’un système bancaire qui favorise et encourage le surendettement des particuliers et la cessation d’activité des entreprises individuelles.

Petit à petit c’est devenu un jeu de stratégie en ligne et  j’ai crée le collectif anti location financière (CALF). J’ai rapidement constaté que mes interventions étaient gênantes pour les bénéficiaires de ces contrats. Mes articles, voire des forums entiers disparaissent suite à des courriers d’avocats. J’ai  même été  banni définitivement du site 60millions-mag.com pourtant édité par l’Institut national de la consommation (qui appartient pourtant à l’administration publique, NDLR).

CALF location financière 60 millions consommateurs
Message indiquant que l’animateur du CALF est banni du forum de 60 millions de consommateurs.

Comment fonctionne le CALF?

Notre collectif informe et conseille, sur différents  forums  ou  groupes  Facebook, les TPE (très petites entreprises) de 5 salariés maximum  ayant conclu des contrats LLD (location longue durée) sans option d’achat et signés à l’issue d’un seul rendez-vous sur le lieu de travail du professionnel démarché, d’où le terme vente one shot hors établissement.

Le collectif ne participe à aucune procédure, mais l’action du collectif peut être évoquée par les victimes et leurs avocats comme source d’information et/ou d’accompagnement les ayant décidées à se  pourvoir en justice.

Quels sont les dégâts sociaux provoqués par les locations financières hors établissement en vente one shot ?

Ces contrats mortifères mettent en péril la santé financière des TPE démarchées, car leur solvabilité n’est pas vérifiée. Après  la démarche de séduction pour parvenir à la signature du contrat, succède la désillusion. Trop souvent, le prestataire manque à ses obligations contractuelles. Vous n’avez désormais pour seul interlocuteur que la société de financement. Le client, excédé,  suspend les prélèvements et se retrouve confronté à une injonction de payer suite à la requête de la société de financement, puis condamné par le tribunal de commerce  pour rupture de contrat abusive.

Et  pour aggraver  les choses, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile, instaure, en son article 3, le principe de l’exécution provisoire de droit. Si vous êtes une victime condamnée, la société de financement active immédiatement des huissiers pour vous faire payer. Cela entraîne souvent la cessation d’activité de l’entreprise. Le client abusé se retrouve dans un état de détresse psychologique intense et de sidération. Floué par un modèle financier toxique, puis par la justice. Jusqu’au 25 janvier 2022, il était responsable sur ses biens personnels.

Une  récente  avancée quand  même : la protection du patrimoine du travailleur indépendant. En cas de faillite ou cessation d’activité par exemple, les biens personnels des entreprises individuelles, artisanales et commerciales ne pourront plus être saisis.

Le « plus du pire » étant quand même les photocopieurs ! Certaines victimes devront payer jusqu’à 50 000 euros le photocopieur sans jamais en devenir propriétaire. Un responsable d’une association a laissé beaucoup d’argent personnel en frais d’avocat car il s’estimait responsable d’avoir signé  pour un photocopieur. Il constate aujourd’hui que leur constitution en partie civile a été rejetée dans le dossier pénal contre Locam..

arnaque LDD One shot location financiere photocopieuse
Extrait d’un article paru sur le site de France 3 Occitanie.

Dans une interview parue le 17 novembre dernier, Gilles Torillon, le patron de LOCAM, affirme que « la majorité des cours d’appels dans les dossiers qui font l’objet d’un litige autour de la loi Hamon, nous donne raison ».

Je  réponds  que  nous  n’avons  pas  les  mêmes  sources d’informations. Voici  quelques décisions de  Cours d’appel qui confirment qu’il s ‘agit  bien d’ un contrat de services soumis  aux dispositions du Code  la  consommation:

Deux arrêts plus anciens de la Cour de cassation (du 7 avril 2010 et du 2 novembre 2016) confirment qu’une location de matériel informatique obligeant le locataire à payer les loyers et à restituer le matériel loué à l’échéance du contrat ne constitue pas une opération de banque relevant du monopole bancaire.

interview Gilles Torrillon LOCAM CALF
Extrait de l’interview donnée par Gilles Torrillon, le directeur géénral de LOCAM, à mesinfos.fr

Les sociétés de financement telles que NBB lease, CM CIC leasing, Grenke, BNP Lease, Franfinance etc… appliquent le même modèle financier concernant ces contrats. Les sociétés de financement  prétendent relever du Code monétaire et financier (CMF) mais font tout leur possible  pour y échapper. Les dispositions du Code Monnétaire et Financier obligent la société de financement à vérifier votre solvabilité, ce qui n’est évidemment jamais le cas.

Pourquoi autant de victimes de locations financières hors établissement en vente one shot ont perdu leur procès devant les tribunaux?

Je  ne suis pas aussi pessimiste. La loi Hamon et son article 221-3 font  leur chemin dans  les décisions de justice. Comme écrit plus haut, trop souvent, le prestataire manque à ses obligations contractuelles. Le client, excédé, suspend les  prélèvements et se retrouve confronté à une injonction de payer suite à la requête de la société de financement, puis condamné par le tribunal de commerce pour rupture de contrat abusive.

Trop de juges semblent ne pas avoir assimilé le concept et les termes du mot location définis par l’article 1709 du Code civil qui date pourtant de 1804… La LLD est un contrat de louage simple, qui dégage la société de financement de l’obligation de vérifier votre solvabilité. Ces  mêmes juges n’ont toujours pas compris que la location d’un bien par une société de financement ne transforme pas automatiquement cette location en service financier.

contrat de louage article 1709 du code civil
Article 1709 du code civil, inchangé depuis 1804, qui régit le contrat de louage.

10 ans après la loi Hamon, les locations financières hors établissement en vente one shot font toujours autant de dégâts. Pourquoi?

Je ne confonds pas lenteur et inertie. Les lenteurs de la justice sont liées à un manque de moyens humains. La loi Hamon de 2014 a été un formidable tacle contre  les  abus de ce modèle financier. Rappelons que désormais, les TPE qui emploient moins de 5 salariés bénéficient de dispositions reprises dans l’article L 221-3 du nouveau Code de la consommation de 2016, notamment un droit de rétractation de 14 jours sous forme  d’un bordereau de rétractation.

Vouloir  contourner  la  loi Hamon a ouvert la porte à de plus en plus d’actions pénales qui mettent à mal les bénéficiaires de ce modèle financier  toxique. À ce sujet  notons  l’excellent travail des directions départementales de la répression des fraudes : DDPP 42 (dossier Locam) et DDPP75 (dossier Citycare).

DGCCRF location financière action justice arnaque
Bilan de la répression de ces pratiques par la DGCCRF, tel qu’évoqué dans un document publié en 2022.

Mais lorsque parlez d’inertie, vous n’avez pas tort. Les 2 propositions suivantes semblent être un effet d’annonce car aucune n’a vu le jour depuis 5 ans:

  • Proposition de résolution n°1693 tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique de la méthode de vente forcée dite « one shot », enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2019 et présentée par Madame Virginie Duby-Muller.
  • Proposition de loi n°1742 visant à renforcer le droit du consommateur en cas de vente forcée en cycle court, également présentée par Madame Virginie Duby-Muller, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2019.

Pour Bruno Le Maire, ministre de l’économie, la réglementation de la LLD n’est pas une priorité à court terme !

Que préconisez-vous ou qu’espérez-vous pour mettre fin au scandale des locations financières hors établissement en vente one shot ?

Les sociétés de financement et leurs partenaires financiers omettent volontairement d’inclure le bordereau de rétractation pourtant obligatoire.

En  obligeant les victimes à aller en procédure pour faire valoir leurs droits, les sociétés de financement pratiquent une résistance abusive. C’est un abus de droit.

La qualification pénale d’escroquerie en bande organisée, plutôt que  pratiques commerciales trompeuses, pourrait être une piste à suivre.

Beaucoup trop de disparités ente les décisions de différentes cours de justice pour  les  mêmes  litiges. Cela donne le sentiment d’une « justice coup de poker ».

Rédiger les textes de loi avec des phrases courtes que tout le monde pourra comprendre, même les juges ou un algorithme, serait un bon début. Cela  permettrait d’être fidèle à l’esprit des lois, sans aucune interprétation/déformation possible. L’actuel projet de loi du gouvernement sur la fin de vie illustre les difficultés de cet exercice.

La  justice  prédictive à  l’aide  d’algorithmes permettra-t-elle une confiance accrue dans l’institution judiciaire ?

La financiarisation de l’économie a engendré des comportements de joueurs compulsifs de la part des acteurs financiers. Le modèle financier de la location financière en vente one-shot rappelle furieusement celui des subprimes. C’est  un système de prédation. En France  les  banques sont des vaches sacrées, too big to fail !

En 1995, à 23 ans l’artiste Judith  Godrèche  écrivait son  livre « Point de côté » dans  lequel elle décrivait déjà sa relation  toxique avec Benoît  Jacquot. Le  jeudi  24 février  2024,  elle était auditionnée au Sénat pour témoigner de ce vécu, soit 29 ans après…

Pourquoi le projet de commission d’enquête sur l’impact économique de la méthode de vente forcée dite « one shot », enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2019 reste-t-il un projet depuis 2019 ?

On retrouve les mêmes déviances dans ces contrats de location financière en vente one-shot :  séduction, emprise, vampirisation, prédation.
Il n’est pas exagéré d’employer les termes violences psychologiques et  traumatisme dans certains cas. Les vendeurs s’appuient sur des techniques de PNL (programmation neuro linguistique) pour vicier le consentement des « clients ».

Beaucoup de victimes de ces contrats sont des femmes ayant une profession basée sur l’empathie, le bien-être ou sur la transmission de connaissances comme les professions paramédicales (infirmières libérales, orthophonistes, diététiciennes), yoga, cercles équestres, etc.

Ces prédateurs n’ont pas hésité à engluer avec des contrats de photocopieurs et poursuivre en justice des associations s’occupant d’handicapés.

À  force de les interpréter,  certains  juges finissent par  faire  dire aux  textes  législatifs  l’inverse de  ce pourquoi ils  ont  été  promulgués.


Cette interview a été réalisée avec l’animateur du CALF par échange de mail.

Philippe Miller

Philippe Miller

Journaliste professionnel, télé et web, carte de presse n°115527, depuis 2010, spécialiste des arnaques financières, des paradis fiscaux et des mafias.

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