Opération secrète. Le 18 mai, sans tambours ni trompette, la section antifraude et escroqueries de la police de Tel-Aviv a interpellé Jeremy T. et Christophe C, à la demande de la justice allemande qui les accuse d’être des escrocs au président ou « à la fausse qualité ». A en croire le parquet de Stuttgart, les deux hommes auraient réussi, en se faisant passer pour des cadres ou des responsables des sociétés visées de l’autre côté du Rhin, à siphonner tout ou partie de leur trésorerie. Et faire virer les sommes demandées sur des comptes exotiques. Montant de leur gain ? Au moins cinq millions d’Euros.
Agé de 33 ans, Jeremy T. a émigré en Israël il y a trois ans. Il réside dans un appartement de Tel-Aviv et est le patron de l’une de ces nombreuses entreprises de télémarketing créées par les Français qui s’installent par milliers dans l’Etat hébreu depuis quelques années. Quant à Christophe C. (50 ans), il est entré en Israël, avec un visa de touriste et n’y résidait donc pas en permanence même s’il s’était installé chez son complice présumé. Selon la police, c’est d’ailleurs dans cet appartement où une importante somme d’argent a été découverte au cours de la première perquisition, que les deux hommes auraient mené leurs affaires illégales.
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ToggleDes mandats d’arrêts internationaux
Le parquet de Stuttgart a lancé un mandat d’arrêt international visant Jeremy T. et Christophe C. Mais il demande également leur extradition vers Israël car il les accuse de faire partie d’un « réseau international » spécialisé dans l’escroquerie « au président ». Au sein de cette bande, le touriste français résidant à Tel-Aviv aurait joué un rôle particulièrement actif puisqu’il a, à partir de janvier 2016, contacté une série d’entreprises allemandes en se faisant passer pour le patron et en demandant à leur service comptabilité d’effectuer un virement « dans le cadre d’une opération financière secrète » .
Le 18 mai dernier, la police israélienne a d’ailleurs pris ce baratineur sur le fait, alors qu’il était en train de baratiner au téléphone un cadre d’une fabrique allemande de chocolat en lui demandant de virer d’urgence un million d’euros sur un compte bancaire chinois. Pour l’heure, tout porte à croire que Christophe C. sera rapidement extradé vers l’Allemagne puisqu’il n’est pas un ressortissant israélien. En revanche, dans le cas de Jérémy T., cela risque de prendre un peu plus de temps.
Cette nouvelle affaire d’escroquerie « au président » menée à partir de l’Etat hébreu confirme le rôle central joué par ce pays en tant que base opérationnelle pour les escroqueries internationales. D’ailleurs le dossier Jeremy T. et de son complice n’est pas le seul actuellement traité par la section internationale du parquet israélien : une dizaine d’autres affaires au moins sont en effet en attente.
Souvenir souvenir…
L’on se souviendra que l’escroquerie « au président » est apparue au début des années 2000. A l’époque cette entourloupe a été imaginée et développée par Gilbert Chikli, un petit délinquant français qui avait, avec ses proches et quelques connaissances, roulé dans la farine des cadres du service comptabilité de plusieurs grandes banques et entreprises françaises en se faisant passer pour leurs dirigeants et en les convainquant, sous le sceau du secret, de transférer des fonds sur un compte bancaire inconnu .
En fonction de leur cible, Chikli et ses amis leur racontaient des contes des mille et une nuits. Et le pire, c’est que leurs discours faisaient souvent mouche. Dans un cas, il s’agissait de financer une opération antiterroriste secrète menée par le gouvernement, et dans d’autres, de préparer la riposte à une OPA hostile ou de provisionner des fonds afin d’acheter un concurrent.
C’était gros mais les escroqueries étaient menées de main de maître. Condamné par le tribunal correctionnel de Paris à sept ans de prison en mai 2015, Chikli s’est installé en Israël et n’a pas assisté à son procès. Il mène aujourd’hui une vie tranquille dans la ville d’Ashdod (une ville portuaire située à 25 km au sud de Tel-Aviv) tout en gérant des affaires ouvertes dans sa ville d’accueil ainsi que dans le centre de l’Etat hébreu.
Certes, depuis ses ennuis judiciaires, le « beau Gilbert » comme l’avaient surnommé ses amis, jure qu’il s’est « retiré des magouilles ». Mais d’autres escrocs franco-israéliens ont pris la relève en s’inspirant de ses « faits d’armes ».
Exemple parmi de nombreux autres
En juin 2016, quatre Français et deux Italiens opérant à partir d’un appartement de la zone industrielle de Natanya, une station balnéaire située au nord de Tel-Aviv, ont ainsi été arrêté pour avoir « pompé » environ dix millions d’euros à une série d’entreprises de renom dont Chanel, Bosch, Elecrolux, Diadora, la chaîne belge de distribution de produits électro-ménager Eldi et la chaîne de parfumeries belges, Ici Paris-XL. Pas mal. Sauf que l’organisation basée à Netanya voyait plus grand que cela et qu’elle avait de nombreux projets dans ses cartons. D’ailleurs, elle avait également tenté de rouler la chaîne de télévision Eurosport ainsi que les Girondins de Bordeaux.
L’enquête de la police israélienne a, entre autres, démontré que les escrocs disposaient d’une véritable « cellule de renseignement » qui étudiait l’organigramme des sociétés ciblées et falsifiait leur courrier électronique. Les fonds siphonnés transitaient ensuite par des comptes situés en Tchéquie, en Slovaquie et en Pologne.
La majorité des 75.000 franco-israéliens résidant se sent mal à l’aise face à ces aigrefins qui prétendent faire partie de leur communauté tout en jetant l’opprobre sur elle. Plusieurs sites animés par des franco-israéliens ainsi que des pages de réseaux sociaux dénoncent d’ailleurs régulièrement ces « parasites » en exigeant que la justice israélienne les expulse au plus vite. Mais ce n’est pas souvent le cas même si, depuis 2014-15, la police de l’Etat hébreu échange beaucoup plus à ce propos avec ses homologues européennes.
- Photo prise dans le centre d’Ashdod, le père de l’escroquerie au président Gilbert Chikli jure qu’il s’est retiré des affaires
https://youtu.be/ikNJRrSd_3M
Voilà ce qu’il est devenu le « Beau Gilbert «