250 sites de jeux d’argent bloqués en 10 ans, le bilan de l’ANJ

ANJ ARJEL

Depuis 10 ans, l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ) demande et obtient le blocage d’une dizaine de sites de jeux illégaux à un juge au cours d’une audience spéciale. Née il y a 10 ans, cette procédure originale et adaptée à Internet a permis de bloquer près de 250 sites de jeu d’argent ou de publicité pour des jeux d’argent

Le comparatifdecasino.com

Tribunal Judiciaire de Paris, 9h30, salle 4.16. Maître Jouary, l’avocat de l’Autorité Nationale des Jeux (ANJ), l’ancienne ARJEL s’adresse au président à propos du site lecomparatifdecasino.com « C’est un site qui semblait se mettre en régularité », commence l’avocat. En effet ce site a l’air de ne vendre que du matériel de jeux: jetons de poker, tapis de blackjack, roulette… « Mais si vous cliquez sur l’onglet casino, c’est une collection de liens de redirection vers des casinos en ligne ».

Boutique Casino ANJ

Des « Lecomparatifcasino », il en existe des centaines sur internet. Sous couvert de vente de matériel, de conseils, de guides, de forums, d’actualité, tous ces sites sont en fait des publicités déguisées pour des sites de jeux d’argent. Or en France, en principe, les jeux d’argent et leur publicité sont interdits, même s’il existe quelques exceptions très réglementées pour les casinos physiques.

La procédure de l’ANJ fête ses 10 ans

Tous les deux mois, se tient dans cette salle une audience d’un genre unique. Coté demandeur, l’avocat de l’Autorité National des Jeux (ANJ). De l’autre coté, les avocats des principaux fournisseurs d’accès à internet français (Orange, SRR, Bouygues, Free…). Et face à eux, un juge unique, spécialisé en affaire de cybercriminalité.

Ces procès sont des OVNIs juridiques. En 2010, la loi « relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne » fixe a trois ans de prison et de 90 000 euros d’amende l’offre illégale de jeu d’argent. Plus encore en bande organisée. Restait à la faire appliquer…

Des auteurs et des hébergeurs aux abonnés absents

Remonter jusqu’aux auteurs et propriétaires de ces sites s’avère pratiquement impossible. Internet leur permet de dissimuler leur identité et de se protéger à l’étranger avec une facilité déconcertante. Faute de pouvoir atteindre les véritables auteurs de ces sites Internet, le législateur demande donc à leurs prestataires techniques, hébergeurs de sites et fournisseurs d’accès à internet, de faire appliquer la loi.

Dès les premiers mois d’application de la loi, l’ANJ a compris que les demandes formulées aux hébergeurs n’aboutissaient jamais. Evidemment, aucun de ces sites n’est hébergé en France. A l’étranger, les hébergeurs ignorent toutes les mises en demeure que leurs envoient l’ANJ. Deux hébergeurs sont particulièrement connus pour leur inertie: Cloudfare aux Etats-Unis et Whoisguard au Panama. Ils hébergent l’immense majorité de ces sites. Quand des hébergeurs étrangers acceptent d’appliquer la loi française, de toutes façons, les sites concernés se trouvent immédiatement un autre hébergeur, qu’il faut à son tour mettre en demeure… Cibler les hébergeurs s’est rapidement avéré inefficace.

Les fournisseurs d’accès à Internet sommés de bloquer des sites illégaux

Restaient les fournisseurs d’accès à internet auxquels les autorités se sont finalement résolues à demander le blocage de l’accès à ces sites contrevenants, comme le prévoit la loi de 2010.

Une demande qui a d’abord ulcéré les SFR, Orange, Bouygues et autres Free. Les premières années d’application de la loi furent une véritable guérilla juridique. « Nous nous sommes retrouvés face à 15 questions préjudicielles et 5 questions prioritaires de constitutionnalité«  se rappelle un avocat qui représente l’une des parties depuis la première année. Ces blocages de sites ont tout de suite été accusés de porter atteinte à la liberté d’expression.

L’un des enjeux majeurs porté devant les juridictions suprême concernait la nature de cette procédure. S’il s’agissait d’une procédure punitive, elle devrait être formée devant une juridiction pénale, le tribunal correctionnel. La cour de cassation a validé cette procédure. Cette procédure entre dans un cadre de « police administrative », pour « faire cesser un trouble à l’ordre public », explique-t-on du coté de l’ANJ. C’est ce qui fait l’originalité de cette procédure et qui pourrait inspirer une régulation anti-arnaque plus efficace de l’Internet.

Ces audiences se sont apaisées et routinisées, en témoigne l’attitude des avocats des fournisseurs d’accès à Internet. Après chaque plaidoirie de l’avocat de l’ANJ, ils répondent en coeur au président qui leur demande leur avis : « Pas d’observations ». Puis ils replongent dans leur téléphones et on passe au dossier suivant. Une ritournelle qui se répète pratiquement à chaque fois.

Liberté d’expression ou trouble à l’ordre public ?

En revanche, les fournisseurs d’accès Internet ont obtenu gain de cause sur l’une de leur revendication: le respect du principe de subsidiarité. On ne doit leur demander de bloquer l’accès à ces sites qu’après avoir demandé aux hébergeurs d’agir. Mais nous l’avons vu, ces derniers n’agissent pratiquement jamais. Alors pour avoir l’air de satisfaire ce principe, on envoie quand même des mises en demeure aux hébergeurs dans le monde entier. En vain.

Des exigences procédurales qui rallongent les délais et augmentent le budget consacré par l’ANJ à ces blocages judiciaires. A l’étranger, les fournisseurs d’accès ont moins de scrupules à bloquer des sites illégaux de jeux d’argent sans passer par un juge. En Europe, ce passage obligé devant le juge est une spécificité française. En Espagne, au Portugal, en Italie ou en Belgique, dès qu’un site est sur une liste noire, les fournisseurs d’accès à Internet le bloquent assez naturellement. Il n’y a qu’en France que le débat sur les jeux se déroule à ce point sur le terrain de la liberté d’expression.

Un coût de 500 000 euros par an

Chaque année, l’ANJ y consacre un demi millions d’euros sur un budget total annuel de fonctionnement qui oscille autour de 8 million d’euros. Mettre formellement en demeure un hébergeur aux Etats-Unis ou au Panama coûte cher, alors que l’on sait d’avance que cela n’aboutira pas. Or depuis 2010, l’ANJ a toujours obtenu gain de cause sur ses demandes de blocage de sites.

En plus des dispositions prévues par la loi, cette procédure bénéficie de la bonne volonté du Tribunal Judiciaire de Paris. Il a aménagé une audience spécifique et mis à disposition des magistrats spécialisés. La dizaine de sites abordés dans cette procédure ont fait l’objet d’un constat en novembre. Si le tribunal suit les demandes, ils seront bloqués avant février. Trois mois pour bloquer un site illégal. C’est à la fois très rapide comparé aux délais judiciaires moyens et trop lent pour l’instantanéité d’Internet.

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Le tribunal se penche sur le cas de casinos-francaisonline.com. Surtout, ne pas les confondre avec casinoonlinefrancais.fr ou casinofrancaisonline.co Qu’ils soient patients. Leur jour viendra. Puisqu’ils risquent sans cesse le blocage, ces sites ne cherchent pas à se construire des identités fortes et des images de marques. A force d’être bloqués et de réapparaitre sous de nouveaux noms, ils ne font plus trop attention à l’ordre dans lequel les mots « casinos », « français » et « en ligne » composent leur adresse internet ou URL.

A chaque blocage, certains sites réapparaissent dans l’heure en ajoutant un chiffre supplémentaire. casinosenligne.com est ainsi devenu 1-casinosenligne.com. Un jeu du chat et de la souris qui n’est pas près de s’arrêter. Et cela continue indéfiniment. Quand il s’agit en réalité du même site qui réapparait, la procédure peut être encore plus rapide si le juge constate qu’il s’agit en réalité du même site.

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Malte, Curaçao, paire et manque

Deux noms de pays reviennent constamment dans ces débats: Curaçao et Malte. Comme nombre de micro-Etats devenus paradis fiscaux, ces deux îles ont fait le choix délibéré de déréguler leurs législations pour attirer des capitaux et des activités économiques. Créer une société de jeu d’argent à Curaçao permet entre autres choses de s’affranchir des réglementation protégeant les joueurs contre l’addiction, d’éviter les contrôles administratifs, de concevoir les jeux d’argent les plus addictifs et rémunérateurs ou encore de ne payer pratiquement aucun impôts sur les bénéfices tirés de cette activité.

Les paradis fiscaux se spécialisent sur certains créneaux et ces deux-là trustent le secteur des jeux d’argent, pour attirer les sociétés de casinos en ligne. Par société, entendre sociétés-écran ou offshore, des entreprises qui n’ont généralement qu’une boite au lettre et un représentant, souvent un cabinet d’avocat, sur place.

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En théorie, obtenir une autorisation d’exercice à Curaçao ou à Malte devrait essentiellement permettre de proposer des jeux d’argent à des résidents curaciens ou maltais. Cela se fait depuis longtemps à Las Vegas, à Macao ou à Monaco, où les gens se déplacent. Avec Internet, cela permet d’aller chercher les joueurs partout dans le monde…

Est-ce que disposer d’une licence à Curaçao ou Malte autorise à proposer des jeux d’argent dans le monde entier ? Non. Chaque pays souverain peut décider à quelles conditions on peut légalement proposer des jeux d’argent à ses résidents. Mais se targuer d’une autorisation d’exercer délivrée par un Etat, ça aide considérablement à faire croire que c’est légal. Surtout quand cet Etat ferme les yeux quand les entreprises titulaires de cette licence d’exercice vont démarcher des joueurs en violant les lois des autres Etats. C’est l’essence du business des paradis fiscaux.

Fortunecity.fr promeut des « casinos français »

Tous ces sites de publicité pour les jeux d’argent jouent sur cette confusion. Sur fortunecity.fr, on peut ainsi lire que « le jeu en ligne est très réglementé en France. Si la plupart des casinos sont hébergés dans des pays étrangers, il existe tout de même beaucoup de casinos bel et bien de chez nous ».

Casino Fortune City ANJ

Hélas, un casino en français n’est pas un casino français. Il ne peut d’ailleurs pas exister de casino français sur Internet puisqu’ils sont interdits, sans exceptions.

Fortunecity n’est qu’un site de publicité. Il n’est pas lui-même un site de jeu d’argent. Il s’agit plutôt d’un type particulier d’apporteur d’affaire ou d’affilié.

Fortunecity se présente comme une sorte de guide faussement neutre des jeux d’argent. L’objectif: que les internautes clique sur les publicités pour ouvrir un compte chez Cresus, Wild Sultan, Tortuga… Si l’internaute clique, s’il ouvre un compte, ces apporteurs d’affaires touchent des commissions, parfois des pourcentages de chaque sommes perdues. Autant dire que s’ils réussissent à ferrer un joueur compulsif et dépendant, ils peuvent toucher le jackpot.

250 sites illégaux de jeux d’argent bloqués en 10 ans par l’ANJ

Depuis 2010, l’ANJ a scanné près de 6000 sites. Pratiquement 250 d’entre eux ont été bloqués en vertu d’une décision de justice. Sur ces 250, un tiers sont des sites de publicité et deux tiers sont des sites de jeux d’argent.

Ce dispositif a été salué par la Cour des compte, dans un rapport paru en 2016. L’Autorité des Marchés Financiers l’a copié trait pour trait afin de demander le blocage de sites d’investissements frauduleux. Les magistrats de la rue Cambon préconisent cependant d’aller encore plus loin pour contracter encore la procédure pour aller directement demander aux FAI le blocage des sites sans attendre d’illusoires retours des hébergeurs.

Ces améliorations pourrait permettre de « bloquer plus et plus rapidement » explique Frédérique Guerchoun, le directeur juridique de l’ANJ. Cette amélioration supposerait d’inverser le système actuel en donnant le pouvoir d’ordonner ce blocage à une autorité administrative. Le juge n’interviendrait que pour contrôler que ces blocages ne sont pas abusifs. A posteriori. « Et surtout, il ne faut pas frapper que par ce biais-là » ajoute Frédérique Guerchoun. « Il faut attaquer aussi le réseau qui entourent ces sites, c’est-à-dire les banques qui voient passer des flux d’argent, les fournisseurs de logiciels de jeux d’argent ou encore les services de rérencement ».

ANJ Google recherche casino

Par « services de référencement », c’est surtout Google qui est visé. Cherchez des jeux d’argent sur le moteur de recherche américain et vous découvrirez que ce dernier vend de la publicité à destination d’un public français pour des sites de jeux d’argent qui n’ont pas le droit de proposer des jeux d’argent à des Français. Pour l’instant, quelques échanges informels existant entre Google et l’ANJ. Mais pas d’accord en bonne et due forme. La publicité pour des jeux d’argent sur internet n’est-elle pas interdite en France?

Philippe Miller

Philippe Miller

Journaliste professionnel, télé et web, carte de presse n°115527, depuis 2010, spécialiste des arnaques financières, des paradis fiscaux et des mafias.

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pas besoin

oui
et ils autorisent les plus gros escrocs de la planète
soyons sérieux votre site ne sert a rien lorsque l’on sait que l’algorithme utilisé par les sites de pokers online sont géré par les mêmes propriétaires et que l’ANJ laisse faire
alors vive le jour ou l’ANJ disparaitras car cela seras moins de fonctionnaires a payé a rien faire

Donato Zanimacchia

Soyons sérieux
les procédures lancé par l’ANJ ne servant a rien car quelques sites bloqué comparé aux +/- 600 sites illégaux qui ouvrent chaque année ils ferait mieux de régulé et d’offrir des sites de casinos en ligne légaux et régulé cela rapporterait plus a l’état et surtout sécuriserait les joueurs mais cela « bien sûr » serait plus compliqué pour eux car il faudrait qu’ils travail

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